Les deux Antiquaires Louis-François Jauffret (1770 - 1850)

Deux érudits, couverts d'une docte poussière,
S'étant rencontrés par hasard,
Prirent querelle entre eux. C'est assez leur manière ;
Ces messieurs, dès longtemps, étaient d'avis contraire
Sur l'ambroisie et le nectar.
Le nectar, disait l'un, d'un ton aigre et sauvage,
Est ce délicieux breuvage
Que verse Ganimède à la table des Dieux.
Je ne le croirai de ma vie,
Répond l'autre aussitôt, le dépit dans les yeux :
Le nectar est un mets, et je le certifie.
Jupiter dîne-t-il,1e céleste échanson
Lui verse l'ambroisie ; et voilà sa boisson.
Il n'en a jamais goûté d'autre.
Il mange le nectar, c'est son seul aliment.
Sappho le dit expressément.
— Système erroné que le vôtre !
Homère contre vous, et je l'ai remarqué^
S'est, en plus d'un endroit, clairement expliqué.
— Je récuse son témoignage.
Infidèle commentateur,
Vous avez tronqué le passage,
Et dénaturé votre auteur.
— Je cite Horace en ma faveur.
— Et moi, je cite Anaximandre.
- Anaximandre a tort, et c'est un imposteur.
Les docteurs irrités de ne pouvair s'entendre,
Allaient passer bientôt des injures aux coups,
Lorsqu'une sombre nuit commence à se répandre
Dans les airs agités par les vents en courroux.
Environné d'éclairs, le maître de la terre
Paraît aux yeux des deux rivaux ;
Et laissant un moment reposer son tonnerre,
Du milieu de la nue il leur parle en ces mots :
Docteurs quelle est votre folie !
A quoi passez-vous votre temps ?
Pourquoi sacrifier à des riens importants
Le court espace de la vie ?
Croyez-moi, devenez plus sages désormais,
Cessez sur le nectar de parler davantage :
Que ce soit le céleste mets,
Que ce soit l'immortel breuvage,
Vous ne le goûterez jamais.

Livre II, Fable 10




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