On n'est pas toujours malheureux Honoré Antoine Richaud-Martelly (1751 – 1817)

Se désespérer n'est pas sage ;
L'excès du malheur nous présage
Souvent l'approche du bonheur.
Retenez bien cela par cœur.

Un Gentilhomme ayant fortune honnête
Depuis un mois était hors de chez lui,
Pour affaire, dit-on. Il avait bonne tête,
Se portant bien, ne craignant que l'ennui.
Pour s'informer de son ménage,
Il avait fait partir André :
André, garçon naïf et que dans un village
Il choisit pour valet le trouvant à son gré.
Passons. Après huit jours d'attente,
André revient : il était abattu,
Moitié pleurant. - Hé bien, qu'as-tu ?
Oh ! rien, Monsieur. - Ma femme est-elle bien contente ?
Comment vont les plaisirs ? s'amuse-t-elle bien ?
Réponds. André ne répond rien.
- À la fin je m'impatiente.
Mais j'aperçois sur ton chapeau
Une plume de Paon ; serait-ce un tour nouveau
Parti de ta mauvaise tête ?
Ne peux-tu t'amuser sans plumer cette bête,
Que ma femme avec soin conserve en mon Château ?
Hé, Monsieur, dit André, que vouliez-vous en faire ?
Un autre aurait la plume ; autant que ce soit moi.
- Comment, un autre ? explique ce mystère.
- Monsieur, c'est qu'il est mort et je fais bien pourquoi.
- Mon Paon est mort ! Ah ! cela me chagrine.
Comment se peut-il ? Je devine :...
Quelque imprudent valet comme toi.
- Monsieur, non, Il est mort d'indigestion ;
Pour avoir trop mangé de la chair toute crue,
Chair de cheval encor et c'est bien lourd !
Que dis - tu ? quel cheval ? Il est dans l'avenue,
- Où les corbeaux le mangent à leur tour.
Oui, Monsieur, ce cheval, qui coûtait cent pistoles,
A qui vous disiez tant de si douces paroles,
Je l'ai vu comme je vous vois ;
Il est mort de fatigue. On l'avait quatre fois
Fait galoper jusqu'à la ville,
Pour amener le Médecin : Tout cela fut bien inutile,
Et le meilleur est à la fin. Il arriva trop tard ;
Madame était bien morte.
Mais ce n'est pas sa faute il faut bien que l'on forte
Quand il fait beau, pour faire un petit tour.
Elle ne pouvait pas prévoir qu'à son retour
Tout le Château serait brûlé.
Qu'y faire ? Elle en est morte de douleur :
Et voilà, Monsieur, pour vous plaire,
Que j'ai tout dit, sur mon honneur.
Que l'on consulte à présent tout le monde.
Est-il quelqu'un qui ne réponde :
Ma foi, l'on se pendrait à moins ?
Et cependant à qui donner les soins
Quand on est seul ? si ce n'est à soi-même.
Pour moi, j'approuve ce système.
Le Gentilhomme était de cet avis ;
Il pleura bien, ne voulant faire pis...
Dans ce moment on le saisit pour dette,
Dette déjà payée ; on le mène en prison.
Il n'en perdit pas la raison : Vous n'auriez pas si bonne tête.
Moitié geôlier, moitié bourreau,
Celui qui le gardait à vue Lui donnait du pain et de l'eau.
Mieux vaut le pain que la cigüe :
Elle mit Socrate au tombeau.
Par une fenêtre grillée
Il recevait un peu de jour.
Un jeune oiseau qui quitte la feuillée,
Croyant entrer au nid, entre dans ce séjour.
Le Gentilhomme l'apprivoise
Et tâche d'en faire un ami.
Le geôlier d'humeur peu courtoise,
Et qui ne fait jamais sa besogne à demi,
Entre, saisit l'oiseau, l'étoufse et se retire.
Ah ! dit le prisonnier, à la fin je respire ;
Voilà le comble de mes maux.
A peine achevait-il ces mots,
Qu'on ouvre sa prison : il a gagné sa cause.
Il revoit ses amis : bientôt on lui propose
De former des liens nouveaux :
Il y consent ; il se marie :
Il prend femme douce et jolie :
Il reçoit pour dot deux châteaux,
Deux paons et deux chevaux.
Et s'il s'était pendu ?... Répondez, je vous prie.

Livre II, fable 13




Commentaires

Voir aussi