Le petit Fortuné, sur le bord d'un ruisseau,
S'amusait à voir couler l'eau
Pour se reposer des gambades,
Des doux moments passés avec ses camarades,
Quand il vit un poisson.
Adieu repos ; notre petit garçon,
Désir au cœur, feu dans la tête,
Suit de l'œil l'animal de retraite en retraite ;
Ne perd pas un seul mouvement
Que l'onde réfléchit en un sillon d'argent.
Rien ne peut l'arrêter, cailloux, cruelle épine ;
Si l'objet trompe l'œil, son esprit le devine :
Tel un souple serpent, sous vingt replis divers,
Suit tous les mouvements de l'habitant des airs.
Tout à coup, c'en est fait, Fortuné perd la piste ;
II venait do heurter l'adroit pêcheur Baptiste,
Qui, voyant s'enfoncer la ligne et le bouchon,
D'un seul coup de poignet accroche le poisson.
Le bon Baptiste, bien on pense,
Fui supplié ; prières de l'enfance.
Vont droit au cœur,
Même en sollicitant le poisson d'un pécheur.
Baptiste le donna, mais non pas sans morale :
« Que ce jour, cher enfant, pour plus tard te signale
Le danger de courir
Inconsidérément où pousse te plaisir :
Tu pouvais trébucher, el sous l'onde traîtresse
Aller ensevelir ton aveugle jeunesse.
Et la mère !... imprudent ! ingrat à son amour,
Hâte au plus rite ton retour. »
Fortuné, d'un pas de gazelle,
Part, arrive, et dans une écuelle
Où l'eau touchait au bord,
Avait rendu la rie au poisson demi-mort,
Et de divers cailloux» grotesque architecture,
Il avait d'un rocher contrefait la nature.
Enfin, rien ne manquait, plaisirs, utilité,
Excepté cependant un peu de liberté.
Le poisson, laissé seul, sans perdre Une minute,
D'un saut, sur le parquet, vient terminer sa chute,
Et là, comme un ressort qui ploie et se roidit,
H bondit brusquement, retombe et rebondit ;
Puis, étouffé par l'air qu'avec peiné il aspire,
Privé d'eau, sur le sol le malheureux expire.
Liberté, l'on s'aveugle en voulant t'obtenir.
Enfants, mets à profit ceci pour l'avenir ;
Que celle fable, ami, quelquefois te rappelle
Le poisson du ruisseau, le poisson de l'écuelle.