Un vieil avare, un de ces ladres
Qui portent barbe sale et n’ont point de rasoir,
Qui n’osent pas se mettre en face d’un miroir,
Qui collent à leurs murs des images sans cadres,
Et, pour dépenser moins, n’osent pas se nourrir ;
Un vieil avare, dis-je, allait enfin mourir
Et sentait des regrets difficiles à peindre.
Il fit venir à lui son unique neveu :
— Mon neveu, lui dit-il, inutile de feindre,
C’est fini, je m’en vais ; eh bien ! écoute un peu :
Je vois avec terreur mon étrange folie.
Que me sert, dis-le moi, d’avoir dompté mes sens,
En me privant de tout, depuis mes premiers ans ?
Ah ! vraiment cela m’humilie.
Que me sert-il d’avoir, pour ménager mon bois,
Près du foyer éteint grelotté tant de fois ?
Que me sert-il d’avoir, par pure économie,
Marché tête et pieds nus durant les jours d’été ?
Ah ! c’est une infamie,
Je le confesse en vérité,
Que de se priver tant pendant si courte vie !
Et, pour me bien punir, si je tenais encor
L’existence qui m’est ravie,
Je voudrais renoncer à voir mes pièces d’or.
Plus que cela ! Je crois que pour des pièces fausses
Je les échangerais… J’y serais bien perdant,
Va, car l’or en est pur et puis elles sont grosses…
— Cher oncle, voyez donc comme je suis prudent,
Repartit le neveu ; dans ma sollicitude
J’ai remplacé l’or pur par un autre métal
Qui ne vaut rien du tout, j’en ai la certitude.
— Comment ! tu m’as volé mon petit capital ?
Mon or si précieux tu me l’as, en cachette,
Changé pour des jetons que personne n’achète ?
Sur des pièces de cuivre, hélas ! infortuné,
Comme devant l’or pur je me suis prosterné !
J’en mourrai de honte et de peine !…
Oh ! laisse-moi…
Ma fin aurait été sereine,
Ingrat neveu, sans toi.
Lorsque l’on se fait vieux l’on croit quitter le vice
Et c’est le vice qui nous fuit :
La passion qui dort n’est que de l’artifice ;
Elle porte au réveil toujours le même fruit.