Deux arbres à l’épais feuillage,
Où l’oiseau chaque soir faisait son babillage,
 Deux grands arbres étaient voisins :
Mais l’un avait passé, dans un vallon sauvage,
 À l’abri de l’orage
 Des jours sereins,
L’autre, tout au-dessus, au sommet de la côte,
 Avait été souvent
 Fouetté du vent.

— Tu trembles, tu te plains, et c’est bien par ta faute, —
Dit, à son vieil ami, l’arbre vert du vallon,
 Un jour que l’aquilon
 Hurlait au front de la colline
Et que l’arbre d’en haut se tordait en tous sens —
Descends donc près de moi, pauvre insensé, descends !
Ici pas de tempête ; à peine l’on s’incline ;
À peine un souffle frais caresse nos rameaux,
Et l’on est à l’abri de presque tous les maux.

L’autre ne répond pas. Tout entier à la lutte,
Il se courbe et se dresse, il s’agite et frémit ;
Ses racines de fer au sol qui s’affermit
Se cramponnent plus fort pour empêcher la chute.
 Enfin, malgré le vent qui brise tout,
 Sur la cime il reste debout.

 Alors, au fond de la vallée,
La tempête ailée
Pour la première fois s’élance avec fureur,
 Et, semant partout la terreur,
 Ainsi que la faulx rase
 Les épis au temps des moissons,
 Elle brise, elle écrase,
 Les grands arbres et les buissons.

L’on ne vaincra jamais l’homme qui sut combattre,
Dès le commencement, contre l’adversité ;
Mais un souffle, en passant, suffira pour abattre
 Celui qui n’a jamais lutté.

Livre I, fable 14




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