Dans le même jardin, près du même ruisseau,
Deux sauvageons du même âge,
Respirant le même air, nourris de la même eau,
Déjà forts, déployaient autour d'eux leur feuillage.
- Pourquoi ces arbrisseaux seraient-ils délaissés ?
Dit le maître à ses gens. Ce serait grand dommage
Que des arbres si verts et si bien élancés,
Ne portassent qu'un fruit sauvage.
Que l'on grefse à mes yeux l'un des deux en ce jour ;
L'autre demain aura son tour.
Soudain on se met en besogne,
On coupe, on scie, on taille, on rogne,
Et la branche gourmande et le trop long rameau
Tombent en un clin d'œil sous le tranchant ciseau.
Puis une main habile insère
Sur la branche coupée une tige étrangère.
Dès que l'on fut parti :
- Ma foi, mon cher, te voilà bien loti, -
Dit l'autre arbre,-j'admire ici ta patience :
Tu n'as plus de toi-même aucune ressemblance.
T'avoir ainsi tondu !.. c'est une indignité.
Si je n'étais témoin de la métamorphose,
Je te méconnaîtrais après semblable chose.
Et tu pus endurer d'être ainsi maltraité !
Le tout pour contenter les goûts d'un hypocondre !
Ce n'est pas là mon fait,
Et ne suis pas d'avis de me faire ainsi tondre ;
Je tiendrai ferme. - Il tint ferme en effet :
En vain, pour entamer une branche menue,
Notre homme impatient, s'échauffe, souffle, sue ;
L'arbre tient bon, serre, durcit sa peau,
La rend impénétrable à la scie, au ciseau.
L'homme enfin se retire,
Et l'arbre de sourire.
Bientôt le rieur est surpris
De voir que son voisin qui causait son mépris
Se couvre de feuilles plus belles,
Qu'un fruit vermeil s'attache à ses branches nouvelles,
Que chacun le chérit pour ses fruits savoureux.
Il reconnaît sa faute. Il est plus malheureux ;
Comme il nuit au jardin par son ombre inutile,
On l'arrache, on le jette en un champ peu fertile,
Dans un sable brûlant, sur un âpre caillou,
Heureux, pour y languir, de rencontrer un trou.
C'est l'éducation, ce n'est pas la naissance
Qui parmi les mortels met quelque différence.