« Mon révérend bouc, dès longtemps
Nous vivons en bonne harmonie,
Vrais Castor et Pollnx, dans notre colonie
Nous sommes renommés pour des amis constants.
— Pour moi, répond le bouc en secouant la barbe
Je suis à toute épreuve. — Eh bien ! me suivras-tu
— Je le jure, par sainte Barbe,
Ma patronne ! — C'est entendu ;
Nous allons faire un tour de monde,
Chercher fortune en cent bois à la ronde.
— Rien n'est plus sage, en vérité;
Ici, la vie est monotone,
Moi, j'aime la variété,
Profitons des beaux jours d'automne. »
Leur bagage n'était pas lourd ;
Bien des gens, en voyage,
Ont ce grand avantage ;
Aussi font-ils beaucoup de chemin en un jour.
Nos deux amis, sans aucune aventure,
Débarquent dans une forêt ;
Là, dans un palais de verdure,
Monseigneur l'ours, de sa cour entouré,
Discutant un projet de loi sur la capture,
Leur offre l'hospitalité.
Ce souverain est un assez bon diable ;
Chez lui, chacun peut vivre en liberté,
Pourvu que rien ne le tracasse à table.
Le bélier, fier, noble en son port,
Au prince a le bonheur de plaire,
Et soudain, ô fortuné sort !
Le voilà parvenu tout droit au ministère.
Le bon bouc ouvre de grands yeux,
Et réfléchit s'il doit pleurer ou rire ;
Il revoit son ami d'un regard envieux,
Fait la courbette et ne sait que lui dire.
« Va, dit le bélier, tes soins sont superflus
Ton air souple, inquiet, sinistre,
Me dit trop que je suis ministre.
Tu m'aimais ton égal, et tu ne m'aimes plu
Ton maître comblé de fortune...
— La grandeur contraint, importune
L'amitié veut être libre en sa foi ;
Égalité... c'est son unique loi ! »