Le Bélier et les Brebis Alfred de Valois (1819 - 1888)

Un jour que le berger dormait avec son chien,
Un philosophe, un voltairien,
Vieux bélier aux cornes tordues,
Assembla ses brebis toutes fraîches tondues :
« Hélas ! mes tendres sœurs, dit-il à demi-voix,
Je souffre au fond du cœur alors que je vous vois
Si maigres et si nues.
Cet homme qui dort là, couché dans son manteau,
S’engraisse et n’a souci nullement du troupeau.
Si vous n’étiez tout ingénues,
Vous vous affranchiriez de son joug écrasant,
Et nous irions ensemble errer sur les collines,
Dans les prés et les bois, brouter les herbes fines
Et le thym odorant.
Là, sous l’œil de Jupin, on vit dans la concorde ;
Pas de maître insolent dont l’affreux chien vous morde,
Pas de ciseaux non plus qui coupent nos toisons
Et nous laissent tout nus dans les dures saisons.
Venez, venez, ô mes compagnes,
Paître les mousses des montagnes
Et vous ébattre en liberté.
Le tyran dort, fuyons, fuyons de ce côté ! »

Les brebis follement suivirent en désordre
Leur trop imprudent conseiller,
Et dans les bois bientôt entrèrent sans mot d’ordre
En entourant le vieux bélier.
Mais leur ivresse fut de bien courte durée :
Un loup parut soudain, qui fit ample curée
Du téméraire et sot troupeau ;
Sa dent mordit dans chaque peau.

Cette fable est pour vous, pauvres brebis humaines :
Si l’avare berger tous les ans tond vos laines,
Pour vous en affranchir, en tout temps gardez-vous
De la gueule des loups.







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