Avril déjà signalait son retour ;
Et de nombreux troupeaux, fuyant les bergeries,
Dans les verdoyantes prairies,
Et les bocages d'alentour,
Paissaient gaiement les herbettes fleuries.
Déjà, les oisillons des bois
Chantaient d'une note légère,
Et la jeune et tendre bergère
Y mariait sa douce voix ;
Lorsqu'un coursier, errant à l'aventure,
Indépendant et libre de tout frein,
Aperçut le long d'un chemin,
Un pré dont l'herbe épaisse et la molle verdure
Au plus malade eût inspiré la faim.
Il est bien vrai, que de ce pâturage,
Un grand fossé le séparait,
Et que l'eau qui, le long courait,
Rendait périlleux ce passage.
Mais le noble animal n'en fut point rebuté.
Qu'importe le danger, se dit-il, si j'arrive,
Et d'un seul bond, sur l'autre rive,
On le vit aussitôt courir en liberté.
Un certain roussin d'Arcadie,
Un âne, puisqu'il faut l'appeler par son nom,
Témoin de ce saut de renom,
D'en faire autant conçut la fantaisie.
Aussi, je suis un bon sauteur,
S'écria-t-il, en relevant la tête ;
Qu'à m'admirer chacun s'apprête,
On va dans peu connaître ma valeur.
En effet, sans que rien l'arrête,
Vers le pré le voilà lancé ;
Mais hélas ! cette pauvre bête,
Tombe au beau milieu du fossé.

Comme l'âne de cette fable :
On voit plus d'un ambitieux
Qui, pour trop loin avoir porté ses vœux,
Tombe, après des efforts toujours infructueux,
Dans l'état le plus misérable.

« Autre moralité de cette fable : »

En tout consultez bien votre esprit et vos forces ;
C'est autrement agir en insensé.
Défiez-vous surtout des trompeuses amorces :
e point est de finir ce qu'on a commencé.

Livre III, fable 1




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