Certain rat qui n'avait que fort peu de cervelle,
De côté d'autre allant, trottant,
Tout auprès de son trou vit la taupe paissant
Une herbe odorante et nouvelle.
L'aborder, lui parler fut l'acte d'un moment.
La taupe, dit-on, n'y voit goutte,
Mais elle entend parfaitement,
Et l'oreille au guet, elle écoute,
Le plus petit évènement...
Elle pensa, dans sa sagesse,
Qu'elle devait montrer à cet écervelé,
Le triste sort auquel il semblait appelé
S'il errait et courait sans cesse...
Tu ne peux te livrer, sans le plus grand danger,
Lui dit-elle, au désir de tout voir, tout connaître ;
Crains d'imprudemment t'engager
Loin du coteau qui t'a vu naître.
Reste chez toi, c'est le plus sûr moyen
D'éviter tous les maux qui menacent ta vie,
Bien insensé qui peut porter envie
A celui qui d'erreur fait son souverain bien !
Songe surtout, ajouta-t-elle encore,
Que l'infâme race des chats
Rôde sans cesse sur tes pas ;
Prends garde qu'avant peu l'un d'eux ne te dévore...
Mais n'entends-je pas quelque bruit !...
Chez moi je rentre... adieu ; sans plus de verbiage,
Retourne-t-en dans ton humble réduit ;
Tu ne peux, mon ami, suivre un conseil plus sage !
Ah ! mon dieu, ce n'est rien, dit le rat raisonneur,
Demeurez, nous n'avons dans ce lieu rien à craindre ;
Je vous trouve vraiment à plaindre
D'avoir un si timide cœur.
Je veux donc... Mais le chat (car c'était bien lui-même
Qui s'était là glissé furtivement),
S'élance sur le rat d'une vitesse extrême,
L'étrangle et le mange à l'instant.

Heureux qui, loin du monde et dans la solitude
Voit ses jours s'écouler au sein des doux loisirs !
A l'abri des périls, exempt d'inquiétude,
Seul il connaît les vrais plaisirs.

Livre III, fable 2




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