Un Âne des plus fanfarons
(Car il en est de cette espèce
Au siècle même où nous vivons),
Un Ane, dis-je, osa, pour montrer sa vitesse,
Défier à la course un agile Cheval.
Celui-ci veut d'abord refuser la partie,
Honteux d'avoir à vaincre un si faible rival ;
Mais, par réflexion, du roussin d'Arcadie
Il daigne ramasser le gant
Pour se donner la comédie.
Bucéphale en champ clos se présente à l'instant,
Hennit trois fois, agite sa crinière ;
Ensuite comme un trait on le voit s'élancer,
Et d'un tourbillon de poussière
Aveugler le grison, qu'il vient de devancer ;
Il ne s'arrête enfin qu'au bout de la carrière.
Revenons à maître baudet :
A peine a-t-il au quart poussé son entreprise,
Qu'épuisé de fatigue il succombe tout net,
Et s'entend régaler de maint coup de sifflet.
Mais quel âne jamais avoua sa sottise ?
- Messieurs, dit le penaud quand le bruit eut cessé,
De grâce, écoutez une chose :
Une maudite épine, en courant, m'a blessé;
De mon affront telle est la cause.
En formant des projets trop hauts,
C'est ainsi que l'homme s'abuse,
Et qu'à nos plus grossiers défauts
L'amour-propre trouve une excuse.