Un Espagnol, pour sa triste patrie
Las de former d’inutiles souhaits,
Les yeux en pleurs, aux bords de Colombie
Allait chercher un asile et la paix.
« Quoi, lui dit-on, nous quitter pour jamais ! »
Il répondit : « Ecoutez, je vous prie.
A ses petits, quand fuyaient les beaux jours,
Une Corneille adressa ce discours :
Mes chers enfants, ta piquante froidure
Blanchit les monts, et flétrit la verdure.
Sur les coteaux le pampre est demi-nu,
Et dans les airs j’entends mugir Borée.
Venez ; fuyons cette froide contrée.
N’attendons pas que l’hiver soit venu.
L’hiver toujours est fatal aux Corneilles.
Loin de ces bords, au pays des merveilles,
Allons bâtir de nouvelles maisons.
Suivons les pas des brillantes saisons.
O de Japhet adieu triste héritage,
Où le printemps à regret vient fleurir.
Sur l'autre rive il se plait davantage.
Nous y volons, puissions-nous y mourir !
Milans, Vautours, gens amis du carnage,
Dans votre empire, ici, demeurez tous.
Mais vous, des airs peuple innocent et doux,
C'est, croyez-moi, la saison du passage.
Quittez ce bord ; il n’est pas fait pour vous. »

Et l'Espagnol de gagner l’autre plage.
Mais le vaisseau rencontra, dans son cours,
Vers nos climats cent voiles fugitives.
O mes amis, pourquoi changer de rives ?
Sur l'autre bord le bonheur est toujours.

Livre V, fable 1




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