La grive est d’une humeur sauvage et d’un cœur tendre ;
Elle aime la retraite et reste au fond des bois :
C’est là qu’elle nous fait entendre
Des sons aussi moelleux que les sons du hautbois.
La corneille, au contraire,
Dont la voix est si laide et l’esprit si rusé,
Semble surtout se plaire
Près de l’homme civilisé.
Peut-être qu’après tout elle se croit de force
À lutter quelquefois de finesse avec lui ;
L’orgueil est une amorce,
Même pour l’oiseau d’aujourd’hui.
Quoi qu’il en soit, une corneille
Qui n’avait pas mauvaise oreille
Et ne manquait pas de bon sens,
Honteuse de ses laids accents,
Eut une idée originale.
Or, la voilà qui prend son vol,
Et, rasant le sol
D’une aile matinale,
Elle se rend à la forêt,
S’enfonce loin et puis arrive
Sur un érable vert où nichait une grive.
— Il y va de ton intérêt,
Dit-elle à l’oiseau solitaire,
Quitte ce désert sombre. Il vaut autant se taire
Que de chanter ainsi quand personne n’entend.
Viens, je connais des lieux où l’on sera content
D’applaudir, mon amie, à ta voix merveilleuse.
La pauvrette écouta la corneille orgueilleuse
Et se laissa persuader.
Au milieu d’un jardin, en lissant leur plumage,
On les vit, peu d’instants après, se hasarder.
— Fais maintenant ton doux ramage,
Dit la corneille, et cache-toi
Pour qu’on ne puisse pas te prendre,
Seule je vais m’exposer, moi,
Et je t’avertirai si l’on veut nous surprendre.
La grive obéit sur le champ,
Et son doux chant
Attira sur les lieux une foule nombreuse.
La peureuse
S’était fort bien cachée ; on ne la voyait pas.
On voyait seulement la corneille méchante
Qui simulait, sans embarras,
Les gestes d’un oiseau qui chante
Et se gaudit.
Ce fut elle qu’on applaudit.
Beaucoup chantent ainsi par la bouche des autres,
Qui ne sont pas oiseaux. Ils ont un air heureux.
À défaut de talents ils empruntent les vôtres :
Ils expriment pour nous ce qu’on pense pour eux.