J'étais nonchalamment assis
Sous le dôme touffu d'un chêne vénérable
Qui dominait au loin sur des coteaux fleuris.
Là, je méditais une fable
Contre ces hommes vains qui, géants à leurs yeux,
Malgré leur taille de pygmée,
Courent après la renommée,
Et bravent les affronts pour faire parler d'eux.
Soudain la république ailée
Vient de mon chêne occuper les rameaux ;
Elle vient y tenir ses états-généraux.
L'aigle présidait l'assemblée.
Moi, qui connais un peu la langue des oiseaux,
Je veux leur emprunter mon sujet d'apologue :
Entre eux et moi se lie un dialogue,
Et j'entame ainsi le propos.
-Oiseau de Jupiter, dis-je à l'aigle intrépide,
Que j'aime à te suivre des yeux,
Lorsque, dans ton essor rapide,
Tu parcours les sphères des cieux !
Pour le regard perçant, la force, le courage,
Que sont auprès de toi tous ces oiseaux divers ?
Aussi te rendent-ils hommage
En t'appelant le roi des airs.
Favori de Junon, j'admire ton plumage.
Tu n'as point d'égal en beauté ;
Mais on t'accuse, et c'est dommage,
D'avoir un grain de vanité.
Qu'entends-je ? c'est la voix céleste
Du rossignol mélodieux ;
En charmant notre oreille, il se cache à nos yeux :
Voilà bien le talent modeste.
Je serais injuste envers toi,
Douce et sensible tourterelle,
Si je ne vantais pas ta candeur et ta foi :
Du plus parfait amour n'es-tu pas le modèle ? —
C'est ainsi qu'aux oiseaux je parlais tour-à-tour ;
Mais je demeurais bouche close
Sur le milan, sur le vautour,
Et l'on en devine la cause.
J'allais enfin quitter ce bocage attrayant ;
Tout-à-coup devant moi s'abat une Corneille,
Qui, prenant la parole avec un ton bruyant,
Fait retentir ces mots à mon oreille :
-Tu cajoles si bien les hôtes de ces bois ;
Sur la Corneille, ami, n'aurais-tu rien à dire ?
—Non, madame. -Pourquoi ? —Je blâme la satire.
-Je t'entends.... A défaut de voix,
J'ai d'autres qualités qui valent mieux peut-être.
-Serait-il vrai ? - Mais.... je le crois.
--En ce cas, fais-les-moi connaître.
—Apprends que nous vivons un siècle, et par- delà,
Ce qui n'arrive guère aux gens de ton espèce.
-Le beau mérite que voilà,
S'il n'est accompagné d'une haute sagesse !
- N'entends-tu pas dire sans cesse :
« La Corneille a prédit cela. »
Donc la Corneille est prophétesse.
-Oui, de malheur. -J'ajoute encor
Que la Corneille a du courage.
Livre-t-on des combats, vers les champs du carnage
Nos épais bataillons dirigent leur essor.
Pour fonder notre gloire en faut-il davantage ? —
Je l'arrête à ces derniers mots.
Se comparer à des héros,
C'était le comble de l'outrage.
O noire fille d'Atropos !
Cesse, lui répliquai-je, un indigne propos.
Toi, courageuse ! ô ciel !... Si tu suis les batailles,
On sait, hélas ! à quel dessein :
Tu ne vis que de morts ; les jours de funérailles
Sont pour toi des jours de festin.
Mais je n'ose achever. -Ose, me répond- elle ;
Beaucoup d'éclat surtout : c'est m'obliger. — En quoi ?
— Je veux faire du bruit pour me rendre immortelle.
Peins-moi donc, s'il te plaît, comme un objet d'effroi.
Traite-moi de Harpye, appelle-moi Mégère ;
Enfin dis blanc ou noir ; il ne m'importe guère,
Pourvu que dans le monde on s'occupe de moi.