Nous savons tous que les corneilles
Des bêtes vivent les plus vieilles,
Et qu'elles font prosession
De dire la bonne aventure.
Leur art n'est pas une imposture,
Et les Romains croyaient à leur prévision ;
J'y crois aussi, pourquoi voudrais-je m'en défendre ?
Imiter les Romains n'est pas un déshonneur.
Une linotte jeune et tendre,
N'osant interroger son cœur,
Vint consulter l'une de ces sibylles,
Des plus vieilles, des plus habiles.
Dans les ruines d'une tour
Elle avait fixé son séjour.
Ayant de l'innocente examiné la patte
Et de sa naissance la date,
La vieille lui parle en ces mots :
« Ma chère enfant, le plus beau des linots
Avec ardeur en ce moment vous aime.
Mon art me dit que vous l'aimez de même,
Et que bientôt le lien le plus doux
De cet heureux amant doit faire votre époux.
Pourquoi faut-il, hélas ! qu'aussi je vous révèle
Qu'il doit plus tard devenir infidèle !
Vos chers enfants, de votre affliction
Seront la consolation :
Longtemps autour de vous je vois leur troupe ailée,
Mais enfin un beau jour, ou plutôt jour de deuil !
Du logis maternel ils franchissent le seuil
Et pour toujours ils prennent leur volée.
Et, vieille alors, sans enfants, sans secours,
Dans l'abandon vous finirez vos jours. »
La linotte, à ces mots, laisse couler ses larmes ;
Puis, bientôt essuyant ses yeux,
Lui dit : « Serait-il vrai ! par quel art, par quels charmes
Pénétrez-vous dans les secrets des Dieux ?
Comment dans l'avenir ainsi pouvez-vous lire ?
- Mon secret, je vais vous le dire, »
Reprit la Pythonisse, « et d'abord, j'ai cent ans.
D'un œil observateur Jupiter m'a pourvue.
Quand, successivement, s'offrirent à ma vue
Dix générations d'oiseaux de tous les rangs,
Dans ces diverses existences,
En somme, j'ai trouvé de faibles différences.
Dans ces dix générations,
Ce sont toujours les mêmes passions ;
Selon l'âge et l'espèce, à peu près mêmes choses ;
Mêmes effets, produits par mêmes causes.
Aussi, dans mes prévisions,
Par l'expérience servie,
Ce que je vous prédis n'est que le sort commun ;
Et ce que vous croyez l'histoire de chacun,
N'est que l'histoire de la vie. »