De la Souris de bonne ville et de celle de vilaige Ysopet I (Moyen Âge)

Une povre souris champestre
Maine avec soy en son povre estre
Une souris de cité née.
Si l’ost semonce a la disnée :
Tel viande ot apareilliée
Comme elle pot, mes plus liée
Que la viande ne demonstre
Car se pou y a a l’enconstre,
Y est la bonne volenté :
Si de viande n’i a planté,
La bonne cliere et la courtoise
Que celle fait à la bourgeoise
Vaut bien autant, ce m’est avis :
Car mengier ne puet estre vilz
Qui est donné a bonne chiere.
Aisié furent en tel maniéré
Que n’orent a tout le mengier
Peour, ne noise, ne dengier;
Et quant d’aler fu la saison,
Cele semont en sa maison
L’autre souris, pour faitoyer,
De ce la veut forment prier.
Celle bonnement lui ottroye.
La bourgoise li fait grant joie
Qui a li aaisier moult pense :
Que en selier ou en despense,
Fist la dame mettre la table.
Moult lui a fait chiere amiable :
A la table se sont assises ;
Maisje ne sais où furent prises
Des viandes tant comme il i a :
Celle moût semont et pria
Son ostesse qu’elle fut aise :
A faire chose qui lui plaise
Met toute sa cure et sa paine.
Veez ci venir, que diable amaine,
Le clarselier qui les clés porte;
Si commence à ouvrir la porte,
Et celles qui tantôt l’ouirent,
L’une cà, l’autre là fouirent.
Si scet la dame son retrait;
Mais l’autre ne scet où cl vet ;
Aus ongles fiert à un mur
Et saebies que n’est mie asseur.
Retourna s’en le clarselier
Bientost et. ferma son selier.
La souris qui au mur se tint,
Des ficvres tremble et l’autre vint
Qui bien avoit esté reposte.
Si prist à asurer son hoste ;
Si li a dit : amie cliiere,
Mangiés et faites bonne cliere :
C’est aussi douls que miel en rée. ?
Mais celle qui point asseurée,
N’est encores, dit : En ce miel
Gist et tapit venin et fiel.
Nulz biens n’est bons où péeur gist :
Deliz que péeur en humblist
N’est pas deliz parfaitement.
Pour ce vous di certainnement,
Plus am mes feves, douce seur,
Asseur et a pais de mon cuer,
Que de viandes habundance,
Et fusse tousjours en doutance,
Et en péeur et en pensée;
Mes vous a qui cest chose agrée,
Prenes à vous reste planté.
Pais fait riche ma povreté.
Plus n’en dit : s’en vet a l’osté :
Riens ne prise envers seurté,
Et pour ce que creint haute chose,
Se tient seule et embas enclose.

Pouvreté que l’on prend liement
Est grant richesse et ensement 9
Di-ge que pouvre est grant richesse
Qüe s’estuet despendre en tristesse.
Mieux vaut du pain un bon morsel
Que mengier d’un gras poursel,
Et estre tristement receus,
Combien qu’en fust très bien péus.
Ne voudroi-je d’un gras viau
Et paour eusse en un préau :
Je ne sauroye miel amer
De péeur eusse cuer amer.

Tiré du le livre Fables inédites des XIIè, XIIIè, XIVè siècles et Fables de la Fontaine, par A.C. M. Robert, 1825, p.53


Fable XII

Notes

Estre : maison , propriété
Semonce : prière , invitation, exhortation
Planté : abondance
Chiere : figure, visage
Aais1er : mettre quelqu’un à son aise
Clarselier : majordome, maitre-d’hôtel, sommelier, boteiller
Rée : rayon de miel
Am : aime
Ensement : ensemble, en même temps
Amer : aimer


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