Le Chat et les deux Souris Jean-Jacques Boisard (1744 - 1833)

Que je tremble pour toi, ma chère,
Quand je te vois roder seulette à tout moment
En des lieux fréquentés du mauvais garnement,
Qui mangea ma sœur et ma mère !
Ainsi parlait un jour Finette la souris
À Friande sa bonne amie,
Qui n'avait encor vu le matou de sa vie.
Fais-moi donc le portrait de Raminagrobis,
Dit celle-ci ; pour éviter le traître.
Tu m'avoueras qu'il faudrait le connaître.
Peins toi, reprit Finette, un modeste maintien,
Un regard des plus doux avec des yeux de flamme,
Une voix langoureuse et qui pénètre l'âme,
L'air de la bonté même et le cœur d'un vaurien.
Parmi les agréments qu'il eut de la nature,
On est frappé d'abord de sa riche fourrure,
De sa peau tachetée et de toutes couleurs ;
Mais le plus dangereux de ses appas trompeurs,
C'est une queue enchanteresse
Dont le perfide a l'art d'éblouir notre espèce.
Du reste pour la forme, ou du moins à peu prés,
Il ressemble aux Souris, dont il a tous les traits.
Friande à ce portrait ravie,
De connaître le Chat grille au fond de son cœur :
Ok ! dit-elle, il faut voir ce charmant imposteur, :
Et si l'original ressemble à la copie ;
Le voir, rien plus : fut-il le plus tigre des Chats,
Pour le voir on n'en mourra pas.
Et d'aller à la découverte ;
Sans mot dire, au grand trot elle court à sa perte.
Elle aperçoit le Chat qui prenait ses ébats
Au beau soleil ; le cœur lui bat à cette vue ;
Le Chat tourne la tête, elle se croit perdue :
Mais le Mitis dissimulant,
En lorgnant de côté, de dormir fait semblant.
Ah ! dit le Souriceau, voyez la calomnie ;
J'ai rencontre ses yeux et m'a-t-il poursuivie ?
Moi, je m'en doutais bien qu'un si bel animal
N'était pas si méchant. Sa crainte un peu panée :
Qu'il est beau, disait-elle ! où trouver son égal ?
Et de voir le Minet toujours plus empressée,
Elle avance toujours vers le terme fatal ;
Enfin pour reculer je suis trop avancée,
C'en ferait fait de moi, s'il m'eût voulu du mal.
À ces mots oubliant le sermon de Finette,
D'elle-même hélas ! la pauvrette
Va sous la grifse du Matou,
Qui n'eut pour la croquer rien qu'à baisser le cou.

Livre III, fable 21




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