L'Âne et le Rossignol Ivan Krylov (1768 - 1844)

Trouvant un rossignol, un beau jour, sur sa route,
Un ignorant baudet lui dit ; « Mon cher, écoute :
Chacun te sait iei passé maitre en ton art;
Tes chants, dit-on, sont des merveilles ;
Jen veux juger aussi, tu vois : j'ai des oreilles;
De ce divin talent fais-moi prendre ma part. »

Le rossignol consent; l’épreuve est commencée,
Et sa voix, modulant les sons les plus divers,
En trilles pétillants sautillait dans les airs,
Sifflait ses sons aigus, et parfois, moins pressée,
Trainait en longs soupirs la note cadencée,
Puis, prolongeant du son l'écho plus incertain,
Imitait des pipeaux le murmure lointain,
Ou le bruit du grésil grêlant sur la feuillée.
La nature, au milieu des rayons du matin,
Ecoutait tout émerveillée ;
Et les vents se taisaient, et les oiseaux chanteurs
Pour entendre à loisir la voix pure et sonore
Du chantre harmonieux favori de l'aurore,
Avaient soudain cessé leurs chœurs.
Les troupeaux restaient dans la plaine
En silence accroupis sur le gazon fleuri,
Et l'amoureux berger, ne respirant qu’à peine,
Tournait vers sa bergere un oeil plus attendri.
Le chant cessa. Notre ane alors, d'un air capable,
Dit en branlant la tête : « Eh! eh! c'est supportable !
Sans doute on peut, sans s’ennuyer,
Lorsque l'on a du temps, t'écouter gazouiller ;
Mais que n’as-tu connu le coq du voisinage !
Voilà qui chante en maitre! Eh bien, suis ses leçons,
Pour polir un peu ton ramage,
Et nous pourrons alors admirer les chansons. »
Entendant cet arrêt de animal immonde,
Notre infortuné rossignol,
Prêt à s’enfuir au bout du monde,
Ouvre son aile et prend son vol.
Que j'aimais Dieu ne me condamne
A trouver pour censeur un âne !

Livre III, fable 1


Note de l'auteur : On a prétendu que cette fable avait été dirigée par Krilof contre les critiques de son temps, qui ne cessaient d'exalter les fables de Duitrief pour les opposer aux siennes. Mais, si l'on se rappelle que ce même Dmitrief avait révélé a Krilof sa vocation et avait mis généreusement son futur rival sur la voie de la renommée; si l'on veut bien se souvenir aussi de la loyauté constante de Krilof dans ses relations amicales, on aura peine à croire à ce trait d'ingratitude.


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