L'Âne, le Rossignol et le Perroquet Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Si l'on en croit Buffon, le grand historien,
Le grand peintre de la nature,
L'âne est pour qui l'observe et le gouverne bien
Une estimable créature.
Il est sobre, il est courageux ;
S'il s'obstine parfois, c'est qu'il est ombrageux,
Car de tout prévoir il se pique.
Puis il brait assez haut pour se faire écouter.
On dit qu'un jour, pour mieux chanter,
Un âne prétendit apprendre la musique.
Il avait entendu vanter
Du rossignol des nuits la voix mystérieuse ;
Mais l'âne est défiant, c'est son moindre défaut.
- Or, se disait le nôtre, il faut
Que je fasse juger cette voix si fameuse.
Et par qui ? Par un perroquet
Fort célèbre et d'un grand caquet.
Jacquot vient. Mais va-t-il écouter Philomèle ?
Oh ! point. Notre oiseau tapageur
Imite d'abord la crécelle,
Se rengorge d'un air songeur,
Et prêche à plein gosier, comme Polichinelle.
Le rossignol se tait devant ce fanfaron,
Et notre sage aliboron
Dit : - Pauvre chanteur solitaire,
Va te cacher au fond des bois ;
Un perroquet t'effraye, il te coupe la voix,
Son éloquence te fait taire.
Devant lui ton mérite est mis en question.
Toi, tu ne sais rien dire, et moi, je te condamne.

J'ai vu des gens d'esprit qui, par distraction,
Jugeaient un peu comme cet âne.

Livre IV, fable 1




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