L'Âne, le Rossignol et le Renard Etienne Catalan (1792 - 1868)

Un jour que Maître Aliboron,
Broutant la ronce et le chardon,
Se délectait à ce repas rustique,
Voilà que des accents tendres et gracieux
Viennent frapper son organe acoustique :
C'étaient du Rossignol les chants mélodieux.
Aliboron, peu clerc en fait de chromatique,
Moins sot, pourtant , s'il n'eût tranché du connaisseur :
Je ne sais, mon petit, quel fut ton professeur,
Dit-il au Rossignol, en secouant la tête ;
Tu nous fais, à coup sûr, mal juger de ton choix ;
Pour moi, je n'ai que deux tons dans la voix,
Mais, quel éclat ! quelle tempête!
Consulte, à cet égard, notre Roi le Lion,
Qui, voulant mettre à fin la plus noble entreprise,
Me prit, moi, Don Baudet du Roussin, pour clairon ;
Aussi termina-t-il cette affaire à sa guise ;
J'y marchais le premier et les faisais tous fuir...
Hi ! han ! ... de mes deux tons, vois quelle est la puissance !
Et toi, mon cher enfant , c'est à n'en pas finir :
Brrr..., brrr ….., une fusée, et puis une cadence ;
Qu'est- ce que cela prouve? à grand' peine on t'entend ,
Et moins encore on te comprend…..
Il en est plus d'un qui l'admire !
Ce serait temps perdu que de les contredire ;
Mais , que pensent ces gens de mes poumons de fer ?...
Tais-toi, nigaud ! tais-toi, musicien d'Enfer !
Cria certain Renard, qui , passant d'aventure,
Avait tout entendu... La belle tablature ,
Pour un maître à chanter : deux tons !….. Prends tes ébats.
Mon divin Rossignol... Deux tons , quelle merveille !...
O chantre des forêts, qui ne te comprend pas,
Assurément n'a pas d'oreille...
Pas d'oreille ! repart aussitôt le Grison,
Pas d'oreille ! voyez un peu la trahison !
Quoi, tu n'as donc pas d'yeux, à ton tour, misérable !
Regarde : j'en ai deux , ô menteur exécrable ,
Et longues à plaisir ! ... Regarde , et réponds-moi :
N'est-il pas encor vrai qu'une seule des miennes
En ferait dix au moins comme les tiennes ?
Pas d'oreille ! vaurien , qui n'as ni foi, ni loi !....
Et le rustre en allait dire bien davantage,
Quand Mons Renard, fuyant son éloquente rage ,
Et satisfait d'avoir puni sa vanité,
Lui jeta, pour adieu , cette moralité :

Ce qu'on blâme en un Sot, lui, toujours, il le prise ;
Piquez-le sur quelque défaut,
L'aveugle soutiendra que c'est par là qu'il vaut,
Et son moindre défaut, souvent, c'est la Sottise.

Livre II, fable 12




Commentaires