Un jour que Maître Aliboron,
Broutant la ronce et le chardon,
Se délectait à ce repas rustique,
Voilà que des accents tendres et gracieux
Viennent frapper son organe acoustique :
C'étaient du Rossignol les chants mélodieux.
Aliboron, peu clerc en fait de chromatique,
Moins sot, pourtant, s'il n'eût tranché du connaisseur :
Je ne sais, mon petit, quel fut ton prosesseur,
Dit-il au Rossignol, en secouant la tête ;
Tu nous fais, à coup sûr, mal juger de ton choix ;
Pour moi, je n'ai que deux tons dans la voix,
Mais, quel éclat ! quelle tempête !
Consulte, à cet égard, notre Roi le Lion,
Qui, voulant mettre à fin la plus noble entreprise,
Me prit, moi, Don Baudet du Roussin, pour clairon ;
Aussi termina-t-il cette affaire à sa guise ;
J'y marchais le premier et les faisais tous fuir...
Hi ! han !... de mes deux tons, vois quelle est la puissance !
Et toi, mon cher enfant, c'est à n'en pas finir :
Brrr..., brrr ….., une fusée, et puis une cadence ;
Qu'est- ce que cela prouve ? à grand' peine on t'entend,
Et moins encore on te comprend…..
Il en est plus d'un qui l'admire !
Ce serait temps perdu que de les contredire ;
Mais, que pensent ces gens de mes poumons de fer ?...
Tais-toi, nigaud ! tais-toi, musicien d'Enfer !
Cria certain Renard, qui, passant d'aventure,
Avait tout entendu... La belle tablature,
Pour un maître à chanter : deux tons !….. Prends tes ébats.
Mon divin Rossignol... Deux tons, quelle merveille !...
O chantre des forêts, qui ne te comprend pas,
Assurément n'a pas d'oreille...
Pas d'oreille ! repart aussitôt le Grison,
Pas d'oreille ! voyez un peu la trahison !
Quoi, tu n'as donc pas d'yeux, à ton tour, misérable !
Regarde : j'en ai deux, ô menteur exécrable,
Et longues à plaisir !... Regarde, et réponds-moi :
N'est-il pas encor vrai qu'une seule des miennes
En ferait dix au moins comme les tiennes ?
Pas d'oreille ! vaurien, qui n'as ni foi, ni loi !....
Et le rustre en allait dire bien davantage,
Quand Mons Renard, fuyant son éloquente rage,
Et satisfait d'avoir puni sa vanité,
Lui jeta, pour adieu, cette moralité :
Ce qu'on blâme en un Sot, lui, toujours, il le prise ;
Piquez-le sur quelque défaut,
L'aveugle soutiendra que c'est par là qu'il vaut,
Et son moindre défaut, souvent, c'est la Sottise.