L'Aveugle et l'Athée Etienne Catalan (1792 - 1868)

Agenouillé sur le bord d'un chemin,
Un Pauvre, aveugle de naissance,
Sage réduit à demander son pain,
De tout venant implorait l'assistance :
Pitié, s'écriait-il, pour un Aveugle- né,
Qui priera Dieu de bénir votre aumône !...

Passe un Athée : Ami, te voilà bien tourné,
Dit-il, pour prier Dieu qu'il bénisse personne.
S'il est un Dieu, que fait- il ? En ce lieu,
Souffrirait-il que tu fusses toi-même
Les yeux éteints, le sein nu, le front blême,
Transi de froid, mourant de faim ?... Ce Dieu,
S'il se fit voir jadis aux enfants de la terre,
Depuis longtemps ne s'inquiète guère –
Qui mieux que toi le sait ? - des choses d'ici -bas ;
Car, toi, privé d'un sens qui passe la richesse,
Que ne t'accorde-t-il, ami, cette liesse
De te venir visiter ?... Mais, hélas !
Il serait là, tu ne le verrais pas !...
Or, moi, pour croire, il me faut voir... Mon frère,
Répond le Mendiant, un seul mot : Dites- moi,
Fait-il jour, et des cieux voyez - vous la lumière ? -
Eh ! mais, assurément, tout comme je te vois...
Penses-tu donc que, s'il était nuit close,
Je serais là, plaignant tes maux?... - La belle chose
Doit- ce être que le jour ! ... Je ne le connais pas,
Et j'y crois cependant, et sur votre parole.
Mais, l'Histoire, est-ce donc une menteuse École ?...
Rien n'était : Dieu fit tout ! ... Frère, point de débats
Sur cet enseignement qui me vient de nos pères :
Dieu, c'est mon bien ! ... la foi m'élève en mes misères ;
Par elle, je rends grâce au Monarque des cieux,
Comme d'un double effet de sa sainte justice,
Du pain que l'on accorde ou refuse à mes vœux,
Et, comme le bienfait, bénis le sacrifice...
Non, la lumière et ses charmes puissants,
Je ne les dois jamais rencontrer sur ma route,
Et, si je les niais, vous plaindriez sans doute
Ce défaut cruel de mes sens ;
Mais, j'y crois comme au jour où vous direz, mon frère,
Avec l'Aveugle-né, qui pour vous prie, espère :
O douce foi du cœur, lumière des Croyants !
Je ne vois point Dieu, je le sens !...

L'Athée, alors, touché, pensif, baisse la tête,
Fait au Pauvre une offrande honnête,
Suit sa route, et se tient ce discours à part soi :
Tant de misère et tant de foi !
D'où lui vient donc cette vive croyance
Au grand Dispensateur et des biens et des maux ?
Il y croit, le bénit, en sa double indigence ;
Et, moi, qui m'endors riche et m'éveille dispos,
Je le nie, et peut-être, insensé, je blasphème !...
Serait-il un sixième sens,
Qui tient au cœur, et fait qu'il perçoit et qu'il aime,
Ressort qui vibre ou demeure en suspens,
Selon que de ce Dieu la volonté suprême
Permet ou non qu'on vienne à le saisir ?...
Ah! s'il en est ainsi, j'y parviendrai peut-être,
Sauf qu'à la foi, pourtant, conduise le désir :
L'Aveugle aura dit vrai, que, Dieu, pour le connaître,
Il faut, non pas le voir, ce Dieu, mais le sentir.

Livre II, fable 11




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