Un villageois avait un âne merveilleux,
Si bon , si beau , selon son maître,
Que pareil baudet sous les cieux
Sans doute était encore à naître.
Mais, craignant qu'il ne se perdît.
Si, par hasard, au bois il fuyait en cachette,
Notre homme, un beau jour, lui pendit
Sous la mâchoire une clochette.
Mon baudet, tout à coup d'un sot orgueil gonflé,
Se pavane, s'admire et se croit d'autre race.
(Des cordons de nos gens en place
Devant lui sans nul doute on avait trop parlé.)
11 fait le grand seigneur; sa dignité l'enivre.
Était-il heureux? Non, car enfin, quoi qu'il fît,
Il avait des honneurs sans en tirer profit ;
Mais, soit dit en passant, cette façon de vivre
A plus d'un employé donne un exemple à suivre.
Notre âne, à parler franc, n'était point si parfait
Qu'il n'eût, dans le passé, commis plus d'un méfait;
Mais, jusqu'à la clochette, enclin à la rapine,
Il avait fait toujours ses coups à la sourdine.
Tout restait impuni : si dans le potager.
Dans le seigle ou l'avoine il entrait d'aventure,
En silence, à loisir, il y prenait pâture,
Et sortait bien repu, sans craindre aucun danger,
A présent, c'est une autre histoire!
Que monseigneur ait soif ou faim,
Sitôt qu'au potager il court manger ou boire,
La clochette est en branle et fait un bruit sans fin.
L'oreille est avertie et tout œil le regarde.
Le maître, à bon droit soupçonneux.
Sitôt qu'au potager mon baudet se hasarde.
D'un énorme gourdin lui fait sentir les nœuds.
Le voisin même, aux moindres fautes
Que dénonce le clocheton , Prenant en main martin-bàton,
Lui caresse, à son tour, les côtes ;
Et monseigneur, sans nul repos,
Pourchassé, battu par ses hôtes,
N'avait, l'hiver venu, que la peau sur les os.
Chez nous, parmi les gens en place.
Souvent bien des fripons se voient ainsi déçus.
Tant que leur grade obscur les laisse inaperçus.
Leur rapine à nos yeux peut bien cacher sa trace ;
Mais, dès qu'on les élève en honneurs, en crédit,
La clochette, à grand bruit, les dénonce et nous dit
Qu'il est temps enfin qu'on les chasse.