« - Père des animaux, dit un jour le cheval,
Jupiter ! on prétend qu'à peine ai-je un égal,
Et que pour moi ta main prodigue sans mesure,
En me donnant le jour embellit la nature.
L'amour-propre me dit que je sais plaire aux yeux,
Mais ne pourrais-je pas être encore bien mieux ?
Bien mieux ? répond Jupin avec un doux sourire ;
Comment ? explique toi, parle, tu peux tout dire. »
« - À la course j'aurais plus de légèreté
Si, daignant signaler envers moi ta bonté,
Tu m'accordais la jambe et plus haute et plus fine,
Du cygne le long col et plus large poitrine,
Ma force en doublerait. Pour comble de faveur,
(Puisque je porte l'homme, et te dois cet honneur)
Tu pourrais, sur mon dos libre de cette selle,
En appliquer une autre, et qui fût naturelle. »
« - J'y consens, dit le Dieu, tu seras satisfait,
Je le veux, il suffit. » Jupiter en effet
De la création prend soudain le langage,
La matière à sa voix par un prompt assemblage
S'organise, s'anime... ô prodige nouveau !
Devant le trône on voit,... qui ?... le hideux chameau.
Le cheval le regarde, et d'horreur il frissonne.
« Ces formes, tu les veux ; eh bien, je te les donne
Dit Jupin ; et voilà ce long col désiré,
Cette jambe plus haute et ce poitrail carré,
Voilà, selon tes vœux, la selle naturelle. »
De nouveau le cheval, d'horreur frémit, chancelle.
« Va, lui dit le monarque, adore ma bonté ;
Je veux bien faire grâce à ta témérité
Cette fois ; mais aussi, je veux que, pour ma gloire
Et pour ton repentir, quelquefois ta mémoire
Te la rappelle. » Alors, sur sa production
il abaisse un regard de conservation ;
« Garde, chameau, dit-il, ta nouvelle existence
Et -toi, cheval, toujours frémis en sa présence. »