Vraiment vous êtes gentille,
Et simple et bonne fille ;
J'aime à répondre à vos désirs,
En vous procurant plaisirs
Qui jamais de l'innocence
N'excitent les soupirs.
J'ai fraîche souvenance
De votre dernier mot...
Vous rougissez ! est-ce un complot
De votre petite puissance ?
Aurais-je tout découvert ?
Non : c'est une requête
Que, le lendemain d'une fête,
Après joyeux concert,
Vous adressâtes au Bonhomme.
Vous vous rappelez comme
Je me prêtais à vos jeux !
Ai-je refusé pigeon vole ?
Petite folle,
Pour vous, j'imiterais le preux,
Le bon Henri, le roi de France,
Qui, pour amuser ses enfants,
Laissait de côté courtisans
Et d'autres vilaines gens,
Oubliant presque convenance.
Mais revenons à mon sujet,
Je veux vous servir à souhait.
Ne vois-je pas impatience
Dans vos yeux ! Fi donc ! c'est laid.
Laissez cela pour grande dame...
Faisons la paix, mais je réclame
Un souris gracieux :
Levez les yeux ;
Bien, c'est cela: donc plus de guerre.
Vous m'avez dit : Qu'est-ce qu'un bal masqué ?
Je vais vous satisfaire.
Or, suivez-moi, car je suis embarqué
Sur l'océan de la folie.
Eh ! qu'ai-je dit ! voyez, j'oublie,
Que, prudent nautonnier,
One je ne fis pareil voyage,
Voire dans l'âge
Où l'écolier
Trépigne impatient de quitter le rivage
Où l'aréopage
Et les gens du métier,
Savants mentors, par leur docte langage,
Pensums, autres liens, amarrent le volage
Et son équipage
Lesté du bagage
De futur bachelier ;
Ni lorsque la Sorbonne
M'a donné couronne
De laurier,
Que, rentré dans ma province,
Je me croyais un prince,
Au moins un consul romain
Qui, surchargé de butin,
Se rend au capitolc
Pour offrir son auréole
Au dieu Jupin.
Oui, dans ces jours d'effervescence,
De victoire et de puissance,
J'ai remis au lendemain
Bal masqué, galop moderne
Et pareille baliverne,
Pain quotidien
D'un blondio.
Que pourrais-je donc vous dire ?
Comment décrire
Cette folle gaîté
Qui pique tant la curiosité
D'une charmante fille ?
Un instant : sous verte charmille,
Un magot et sa famille
Donnaient festin et bal ;
Sans être leur commensal,
Je pus voir à mon aise
Le concours seigneurial.
« Bal de singes ! si donc ! — Je crois, ne vous déplaise,
Que pour cérémonial
C'est même chose,
Et de démence même dose
Que chez nous...
Je commence : entendez-vous
La voix mignonne
De ce joli petit marquis ;
Et la chanson que fredonne
Ce gros commis :
Prédiction de l'astrologue,
Et l'obscur dialogue
De ces deux fats ;
Ce miaulement insipide,
Enfin ce cri stupide
De ce Jeannot, digne émule des chats ?
Bon Dieu ! quelle cohue !
Ma tête est fendue
Je n'y puis tenir...
Mais comment fuir ?
L'on me pousse et m'assiège ;
C'est un poudreux manège
Où cent coursiers, sans frein, sans mors,
Dans le délire et les transports
Renversent tout sur leur passage :
Point de place ici pour le sage...
Mais voyez-vous ce changement !
Quel désappointement !!!
Chacun a baissé son masque...
Je reconnais sous ce casque
Le plus lâche usurpateur
De la gloire et de la valeur ;
C'est le plus hideux des êtres,
C'est le singe paresseux :
Voyez donc ! qu'il est affreux
— Et ces marquis ? —Ce sont deux traîtres
Que réclame le gibet,
Ours mal léchés et flétris par le fouet
Du bourreau. Ces péronnelles
Qui roucoulaient en colombes fidelles,
Sont courtisanes que lion
Chassa de son empire.....
— Et ce devin ? — C'est un satyre
Assez ; car je connais les gens, l'amphitryon
De cette hideuse soirée.
Vous voyez, c'est race tarée
Qui de la nuit
Invoque les ténèbres
Par leurs forfaits devenus trop célèbres,
Ces vilains animaux, que tout abhorre et fuit,
Ont pris le casque
Ou le masque
Pour déguiser leur immoralité....
Et c'est là bal joyeux ! et c'est franche gaîté !!!
Votre bon cœur, aimable fille,
Pour être heureux, au sein de la famille,
Cherchera pure volupté.

Livre III, fable 12




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