Un riche Américain, son nom était Blainval,
Donnait naguère un magnifique bal ;
C'était un bal masqué : cette brillante fête
Avait lieu dans Paris, pendant le carnaval.
Déjà l'orchestre a donné le signal,
Et déjà chaque couple et se place et s'apprête.
En ce moment, gardant un stricte incognito,
Entre dans les salons un charmant domino.
Sa taille est fine, élégante est sa mise :
Des gants bien frais, un masque de Venise,
Un mouchoir entouré de dentelle de prix.
Or, quelle était cette aimable personne ?
En cent, en mille, on vous le donne
A deviner ; vous serez trop surpris.
C'était un singe.- « Un singe ? » - « Oui. » - « Mais c'est à Paris
« Que se donne le bal ; comment se peut-il faire ?...
- Peut-être quelques mots rendront la chose claire :
Un travestissement complet
Pour Madame Blainval, dans sa chambre était prêt ;
Madame avait dessein de changer de costume
Au milieu de la nuit, c'est assez la coutume.
Tout près de cette chambre et dans un cabinet,
Excité par le bruit du cor, du flageolet,
Un singe avait brisé sa chaîne,
Et, porté par instinct à l'imitation,
De ce déguisement il s'affubla sans peine.
Mais c'est trop prolonger cette explication,
Je reviens à mon bal. Chacun pour une belle
Prit donc mon singe, et bientôt autour d'elle
D'adorateurs bourdonnait un essaim.
L'un d'eux, en lui pressant la main,
Lui disait tendrement : « Quelle main ravissante !
« Que j'aime ces doigts effilés !
Cette taille, ce bras, par les grâces moulés,
Et cette tournure charmante ! »
Le masque se taisait et se mourait de peur,
Parmi ce bruit épouvantable.
Le galant reprenait : « Quelle aimable pudeur !
« En vérité, vous êtes adorable ! »
Et déjà notre homme, enchanté,
Se figurait une pâle beauté,
Et des cheveux d'ébène, et des regards de flamme.
« - Daignez, » dit- il, « permettre par pitié, -
Que de ce masque enfin le cordon délié.....
Vous ne répondez pas, c'est consentir, madame. »
Le masque tombe en un moment,
Et du singe apparaît la figure effroyable ;
Chacun fuit, croyant voir le diable.
Le fait est éclairci, dans son appartement
L'animal ramené. Vous jugez aisément
D'un pareil incident combien chacun s'étonne :
« Quoi ! cette charmante personne,
C'est une bête !... » Eh ! oui, vraiment.
Pourquoi s'étonnaient-ils ? Pourquoi s'étonnaient- elles ?
Au singe de notre récit
Ressemblent la plupart de ces beaux, de ces belles ;
Un joli masque, un bel habit,
Leur tiennent lieu de mérite et d'esprit.

Livre I, fable 15




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