« De vous souffrir ici vraiment je suis trop bonne ;
Votre murmure monotone
M'ennuie, et près de vous je sens que je m'endors ;
D'ailleurs votre courant ronge et détruit mes bords. »
C'est ainsi qu'au ruisseau s'adressait la prairie.
« - Ne devez-vous rien, je vous prie,
Amon amour ? » répondit le ruisseau :
Je vous embellis de mon eau ;
Sans elle, seriez-vous ainsi verte et fleurie ?
Mais, faits pour nous chérir, pourquoi nous disputer ! »
La prairie, en fureur, perdant toute mesure,
Lui dit, devant témoins, une chose si dure
Que je n'ose la répéter.
Chacun dit au ruisseau qu'il fallait la quitter,
Et se frayer une route nouvelle.
« - Pour me venger, dit-il, de la cruelle,
S'il me fallait, hélas ! changer mon cours,
Résister au penchant, qui m'entraîne toujours,
Je me punirais bien plus qu'elle !
« Mon âme est faite ainsi, j'en gémis tous les jours.
Peut-être il est prudent que bien bas je le dise :
J'aime, malgré des torts, tout ce qu'avant j'aimais.
On peut briser mon cœur ; mais le changer, jamais !
Aimer quand même, est ma devise. »