Avec fracas, du haut de la montagne
Dans la plaine un torrent précipitait son eau ;
A ses côtés, un limpide ruisseau,
En serpentant, fécondait la campagne.
« - Que mon destin est glorieux,
Et qu'il doit faire d'envieux !
S'écriait le torrent ; de victoire en victoire,
Je marche en conquérant ; pour mes flots quelle gloire !
La majesté, le bruit, accompagnent mes pas.
Mon petit ruisselet, ne voudriez-vous pas
Qu'un tel sort fût votre partage ?
— Non, vraiment, il aurait pour moi fort peu d'appas,
Répondit le ruisseau, « pardonnez ce langage.
Vos flots, je le conçois, peuvent vous rendre fier,
Mais je vous vis à sec hier,
Et, de nouveau, dans peu de jours, je gage,
Votre lit aux passants servira de chemin.
Riche aujourd'hui, pauvre demain,
Vous dites vrai, vous êtes bien l'image
Du conquérant, ou plutôt du joueur.
Pour moi, qui goûte peu les émotions vives,
Je m'arrangerais mal de ces alternatives.
Mon doux murmure et ma fraîcheur
Égayeront encor ces campagnes, j'espère,
Quand le silence de la mort.
Remplacera le bruit dont vous troublez la terre.
Mon existence me plaît fort,
Je ne veux pour bénir mon sort
Qu'une fortune humble mais sûre,
Un cours modeste mais qui dure. »