Enfanté par l'orage,
Un torrent vit sur son passage
Un ruisseau qui suivait modestement son cours.
Le torrent, gonflé d'arrogance,
Lui tint en passant ce discours :
- Toi qui rampes sous l'herbe, admire ma puissance !
Vois combien en un jour je couvre de pays !
Sorti des cieux, dès ma naissance,
Je me déborde immense
Dans les champs envahis.
Mais toi, sous les roseaux l'œil te découvre à peine ;
Du midi la brûlante haleine,
Ou deux bœufs altérés vont épuiser ton eau.
Tandis que, déroulant mes ondes dans la plaine,
Et grossissant mon cours de tout ce que j'entraîne,
J'emporte confondus le pâtre et le troupeau,
Et fait craindre à la terre un déluge nouveau. -
- Ma marche est moins rapide, et pour cela plus sûre,-
Dit le ruisseau ; -je ne me flatte pas
D'attrister la nature,
De causer des dégâts ;
Je me plais, au contraire, en suivant la prairie,
Je me plais à donner la fraîcheur et la vie ;
Tu les ôtes partout et partout je les rends ;
Ainsi que nos destins nos goûts sont différents.
Heureux sur mon passage,
Les saules que j'arrose unissent leur feuillage,
Et sur mon lit étroit leurs flexibles rameaux,
Se courbant en berceaux,
Joignent la fraîcheur de l'ombrage
À la fraîcheur des eaux.
Sans jamais s'épuiser, ma source désaltère
Et les moutons et la bergère ;
Son image légère
Embellit mon cristal, je rafraîchis son teint.
Moins que ton sort le mien est incertain :
Je coule lentement, mais je coule sans cesse.
Tu n'étais pas hier, peut-être que demain
Les yeux du voyageur te chercheront en vain.
Tu ne fais que de naître, et dans ta folle ivresse,
Tu portes en tous lieux la mort et la terreur ;
Mais dans ton aveugle fureur,
Dévorant tes rivages,
Tu t'épuises toi-même en tes propres ravages.
Mais, tandis que je perds le temps en vains discours,
Le troupeau qui te fuit et que la soif dévore,
Se presse sur mes bords ; je vais à son secours.
A demain, si pourtant demain tu vis encore. -
Le lendemain avant l'aurore,
Le torrent orgueilleux avait fini son cours,
Et le ruisseau coulait toujours.