La Prairie et le Ruisseau Jacques Vergier (1657 - 1720)

En temps sec , un Pré languissait ;
A son Patron , qui près de lui passait ,
Il dit un jour : D’un peu d’eau, je vous prie,
Humectez mon herbe flétrie,
Ou bientôt je ne serai plus.
Vous n’ignorez pas au surplus ,
Que le ruisseau qui dans ces plaines
Va promenant à rives pleines
Son cristal parmi ses Roseaux,
Me doit une part de ses eaux.
Par une légère tranchée,
Sur ma surface desséchée,
Sans perdre temps, faites courir
Ma part de cette eau salutaire,
Qui seule peut me secourir.
A ces mots (car la soif le força de se taire)
Le Patron dit. » Sois moins impatient :
» Ne crains pas que je t’abandonne ,
» Je te rendrai ton œil riant ;
» Mais à d’autres travaux il faut que je me donne,
»Ton tour viendra. Ce tour vint; m ais alors
Du Ruisseau les arides bords ,
Le milieu , le fond, étaient vides :
D’autres Terres toujours avides ,
L’avoient sans relâche asséché.
Ainsi, ce moyen retranché,
Il se vit forcé de dépendre
De ces communs et lents secours
Que les Astres, suivant leur cours ,
Sur tous les champs daignent répandre.
Enfin une pluie arriva,
Mais sa tardive eau ne trouva
En la place de la prairie,
Autrefois riante et fleurie ,
Qu’un champ poudreux, et cetera.

Que mes Lecteurs se ressouviennent,
Que les secours trop lents ne sauraient réjouir :
Sont-ce des biens, que les biens qui ne viennent
Que lorsqu’on n’en peut plus jouir.





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