Dom pourceau fit un jour une grande fortune ;
Je ne me charge pas de vous dire comment :
Autour de moi j'en vois plus d'une
Qui ne s'explique pas beaucoup plus aisément.
Ce pourceau donc voulut, pour agir noblement
Et n'être pas taxé de vilenie,
A ses nombreux amis donner un dîner fin,
Un repas de cérémonie.
À son chef il commande un somptueux festin.
L'ours, le cheval, le singe, avec maint personnage,
Y furent conviés au nombre de vingt- six.
On dina tard, selon l'usage :
A sept heures un quart on servit le potage.
Les voici donc à table et, non sans peine, assis ;
Assis n'est pas le mot, passez-moi ce langage
Et pour si peu ne me chicanez pas.
La chère, assurément, est fine et délicate ;
Des trufses (comme on sait, les pourceaux en font cas),
Des vins fins, du gibier ; enfin, dans ce repas,
Du riche amphitryon partout le luxe éclate ;
Rien n'y manque, en un mot, si ce n'est la gaîté.
Au dessert, on eût cru que l'aimable folie
Aurait enfin son couvert apporté;
Qu'elle allait, triomphant de cette gravité,
Chanter quelque couplet, porter quelque santé ;
Mais pas un gai propos, pas la moindre saillie.
En vérité, quiconque eût pu les voir,
Chaque convive, avec son habit noir,
Parlant bas aux voisins, sans qu'aucun badinage
Vint un moment dérider son visage,
Eût pris cela, certainement,
Pour ces repas d'enterrement
Qui dans certains pays sont encore d'usage.
Le singe, né rieur, étouffait dans sa peau ;
Enfin, n'y tenant plus, on vit ce personnage,
Même avant le café, demander son manteau,
Prendre brusquement son chapeau
Et mettre fin à son martyre,
À la française, sans rien dire,
Voilà les festins d'aujourd'hui ;
De tels plaisirs sont à mourir d'ennui.
Des mets friands, des vins fins, peuvent faire
Ce qu'on nomme une bonne chère ;
Mais sans gaîté, sans esprit, ce n'est
Ce que j'appelle un bon repas.