Le Lion et le Pourceau Francesco Filelfo (1398 - 1481)

Un lion parcourait ses immenses domaines,
– Par un noble orgueil dominé;
Sans colère il croquait ses sujets par douzaines,
Bon prince, au demeurant, quand il avait dîné !
Il ne marchait pas seul ; autour de sa crinière,
Se groupaient empressés loups, tigres, léopards
Panthères, sangliers ; on dit que les renards
Prudemment restaient en arrière.
Or le monarque, un certain jour,
Comme suit harangua les manants et la cour :
Illustres compagnons, vrais soutiens de ma gloire,
Quadrupèdes soumis à ma noble mâchoire,
Pour m’entendre vous tous accourus en ce lieu,
Écoutez : Je suis roi par la grâce de Dieu !
Je pourrais mais pourquoi songer à ma puissance ?
Puis le lion, avec aisance,
Comme n’eut pas mieux fait un habile avocat
Doublé d’un procureur à fertile cervelle,
Parla de ses devoirs, des charges de l’État,
Des bergers, de leurs chiens, de la charte nouvelle,
Du mal que trop souvent de lui disent les sots ;
Et toujours plus ému termina par ces mots :
J’ai quitté mon palais tout exprès pour vous plaire ;
Exposez vos griefs ; je pèserai l’affaire.
Taureaux, moutons, chevreuils, comptez sur ma bonté.
J’attends, expliquez-vous en toute liberté.
Eh quoi ! dans cette vaste enceinte
Pas un Seul malheureux! pas une seule plainte !.

Un vieux corbeau l’interrompit,
Et, libre dans l’air, répondit :
Tu les crois satisfaits ; leur silence te touche,
Grand roi !.. c’est la terreur qui leur ferme la bouche.





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