Le Cèdre et le tombeau du Singe Théodore Lorin (19è siècle)

Grâces aux soins d'un ami
Sensible et bon comme lui,
Un vrai sage, dont l'étude
Absorbait chaque moment,
Avait d'un singe charmant
Égayé sa solitude.
Hélas ! bien peu de temps ce doux plaisir dura :
Au bout de quelques mois l'animal expira :
Ses grâces et sa gentillesse
Ne purent désarmer la cruelle déesse
Qui sous ses inflexibles lois
Range indistinctement les singes et les rois.
Dans quelques vers touchants exprimant sa tristesse
Notre bon savant le pleura,
Et près d'un cèdre il l'enterra.
Ce monument modeste était caché sous l'herbe ;
Mais cependant l'arbre superbe
Qui porte jusqu'au ciel son front audacieux
S'indigna de ce voisinage.
« Quoi ! dit-il d'un ton furieux,
On oserait ainsi profaner mon ombrage
Et placer à mes pieds ce hideux animal !. »
« Eh bien ! où serait donc le mal ?
Interrompit la pierre tumulaire
Qui recouvrait le simple monument.
L'ami que je protège était sensible, aimant.
Heureux, après avoir supporté la misère, *
Par sonbadinage léger,
En se faisant chérir il sut charmer et plaire.
Aimerais-tu mieux ombrager
La tombe d'un héros qui ravagea la terre ? »

Livre IV, Fable 8


Note de l'auteur : Ce petit singe appartenait originairement à des Savoyards qui le montraient et le faisaient danser pour de l'argent dans les rues de Paris. M. le prince de la C., ému de compassion à la vue des souffrances et du dénuement du pauvre animal, l'acheta et l'envoya à son ami feu M. de Pougens, à Vauxbuin. M. de Pougens s'attacha au petit animal et en eut le plus grand soin ; mais le singe mourut peu de temps après son arrivée. Son nouveau maître le fit enterrer dans son jardin au pied d'un cèdre, et plaça sur sa tombe une épitaphe en vers.

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