La Balance Fortuné Nancey (? - 1860)

Pour l'autre exemple encor, je puise à même source ;
Pour peu qu'au spectateur, il restât dans sa bourse,
Quelques décimes qu'il lorgnait,
D'un spectacle nouveau notre homme régalait.
« C'est le monde, disait cet adroit personnage,
« Le monde entier qu'ici vous allez voir.
« Quoi ! le monde ai-je dit ? j'en aurais le pouvair,
« Mais c'est bien mieux, c'est son image. »
Et quand par l'annonce alléché,
Le peuple s'était approché.
D'abord, il lui montrait une grossière toile
Recouvrant quelqu'objet haut et mystérieux:
Puis lorsqu'enfin il enlevait le voile.
Ce qui tout simplement alors frappait les yeux
C'était une balance ; on aurait cru qu'au piège
On était pris ; pourtant on découvrait encor
Dans l'un des deux plateaux quelques bouchons de liège.
Dans l'autre quelques pièces d'or.
Puis l'homme en promenant sa balance à la ronde,
« Disait, regardez bien, car je vous l'ai promis,
« Ces deux plateaux représentent le monde,
« Pesez ce que dedans j'ai mis, »

Peut-être qu'en ce point il ne se trompait guère,
Car dans le monde assez souvent je vois
Élever les choses légères,
Abaisser les choses de poids.
Loin d'y priser les gens à l'égal du mérite,
On repousse un savant ou du moins on l'évite ;
Un boufson y gagne son pain.
Un philosophe y meurt de faim.

Livre II, fable 3




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