Le Renard attaqué de folie Fables du bonhomme de la Vallée du Perche (XIXème)

Quand chez l'homme on voit la folie
Assise et bien établie,
C'est chose simple; et je ne pense pas
Que pour prouver le fait, il faille longs débats
Mais que singe ou renard, enfin pareille engeance
Tombe en démence,
Ce cas devient phénoménal,
Et l'homme alors a trouvé son rival.
Doit-il s'en applaudir? la question est drôle !
De juge ou d'avocat je refuse le rôle,
Car je crains les récalcitrants,
Critiques et mille autres gens.
Sans plus tarder, je viens donc à mon conte.
Contre maints poulaillers,
Un célèbre duc ou comte,
Quoique renard, du fond de ses hallierrs
Préparait en secret une forte sortie.
Ses amis et ses conseillers
Devaient être de la partie:
L'on députa mille éclaireurs
Pour connaître les lieux sans éventer la mine,
Puis échapper à l'œil de la race canine
Que redoutaient beaucoup tous nos maîtres trompeurs
Les envoyés, satisfaits de leur course,
Se rendent auprès du renard:
« Nous tenons de bonne source
Que dès ce jour, en levant l'étendard,
Nous triomphons : demain serait trop tard.
Allons aux voix! répond le sire. »
Les conseillers, que l'ardeur du butin
Alléchait, aussitôt se hâtent de souscrire:
Nos renards partent donc sans sonner le tocsin.
Tout dormait fort chez la gent volatile...
Un compère se glisse, et tout bas se faufile
Parmi les coqs, les poulets, les dindons;
Marque de l'œil les oisillons
Qui vont tomber sous sa pâte.
Maître des lieux, le consommé pirate,
Pour donner le signal
De l'assaut général,
Etrangle deux poussins, puis, vous happant leur mère,
Etanche sa soif sanguinaire
Dans les flots d'un sang innocent :
Chacun donna son coup de dent.
Ivres de sang, saturés de carnage
(Le soleil en sa course en recula d'horreur),
Nos coquins font le partage
De la gent emplumée, et clique giboyeur
Vante bien haut le chef déprédateur
Qui les avait conduits à si grasse curée.
Tout va bien jusqu'ici, j'entends pour des renards,
Cœurs sans foi, sans remords, sans crainte et nés pillards.
Mais voici que dans la contrée,
Aigles , lions, vautours et mille oiseaux puissants,
Sans compter, croyez bien, les amis des victimes,
Dénoncent au public l'auteur des derniers crimes,
Seigneur renard, l'effroi des înnocents!
Or, tandis que chacun contre lui se courrouce,
Le traque et le poursuit,
Notre drôle repousse
Toute accusation, et sans délai, proscrit
Ses agents, ses amis, ses fidèles compères,
De ses hideux exploits dignes auxiliaires.
Qu'arrive-t-il? il se voit attaqué,
Harcelé, démasqué
Par les siens, réunis au peuple qui le hue.
Dans les champs, dans les bois on fait une battue ;
Le duc renard tombe dans les lacets :
Tout vient le déchirer, jusqu'aux jeunes bassets.
Il a donc recueilli le fruit de sa folie
!
Qu'à troupe de brigands un scélérat se lie,
Il lui faut avec eux toujours vaincre ou mourir:
Les dénoncer, chez lui c'est indécence ;
S'en séparer, c'est excès de démence :
Qu'il persévère donc et qu'il sache périr.
Je le vois bien , tout renard n'est pas sage ;
Et ne prend pas toujours au corbeau son fromage.

Livre III, fable 11




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