Je me rappelle avoir lu dans l'histoire
(Et le fait est notoire),
Qu'à Rome un citoyen
Nommé Domitien,
Sorti de noble souche,
Donc né patricien,
Passait son temps à tuer pauvre mouche
Qui voltigeait autour de son manoir.
Or, le tueur, pour avoir
Une plus grasse curée,
Dans son logis plaçait boisson sucrée
Et les fruits de son repas.
Maintenant nombres les trépas
Et les massacres !!!
Ces exploits, nous dit-on, n'étaient que simulacres
Des exécutions
Et décollations
Qu'il se proposait de faire
Chez les humains.
Je ne sais si les Romains
L'ont surnommé le Débonnaire....
Pour moi j'aime mieux un corsaire
Qui d'égorger fait sont métier,
Que ces petits tours d'écolier,
Ce cruel badinage
Qui présage
Pour l'avenir
Soif du sang... Pour prémunir
L'enfance et la jeunesse
Contre la scélératesse,
Parents ne peuvent trop tôt
Inspirer la pitié, l'amour et la tendresse
Pour faible, pour lequel tout bon cœur s'intéresse,
Chez l'homme et chez les animaux.
Je n'aime pas voir une mouche
Palpiter sous l'œil farouche
D'un enfant qui se plaît à la faire souffrir,
Et par degrés la voir mourir...
Que la voix maternelle
Reproche à celte âme cruelle
Sa barbarie et sa noirceur.
Puis-jc dire sans horreur
Qu'autrefois une mère
Par un souris
Encouragea la rage sanguinaire
De son fils?
Vous frissonnez, âmes aimantes,
Pour l'objet de votre amour...
Rassurez-vous; ce fait, bien digne des bacchantes,
S'est passé chez les ours.
Dans un bois solitaire,
Un ours et ses oursons
Faisaient la guerre
De diverses façons
Aux animaux dont la faiblesse
Favorisant leur fureur,
Assurait facile prouesse
Au barbare vainqueur.
Je ne sais combien de gazelles.
Et de biches fidèles
A l'amour,
Périrent en un jour.
Gorgés de sang, saturés de carnage,
L'ours et son hideux entourage
Sur des cadavres dormaient...
Quelques victimes s'agitaient
Sous le poids du nouvel Anthée,
Et palpitaient
Sur la mousse ensanglantée.
Les tendres cœurs,
Sans émoi, ne peuvent entendre
Et les sanglots et le cri des douleurs,
Ni voir répandre
Des pleurs.
Belle famille de colombes,
Près de ces catacombes,
S'abat:
Elle venait soulager l'infortune.
Mais de l'ourson la rage peu commune
Se réveille et trouve un appât.
Soudain le monstre s'élance
Sur l'innocence...
Voyez l'affreux raffinement!
Cette bête cruelle,
Pour son amusement,
Saisit chaque colombelle,
Non pour la dévorer;
Ce n'est que pour folâtrer...
En pressurant colombes délicates
Le monstre leur coupe les pales...
La mère voit son fils
Mutiler les pauvrettes
Si bonnes, si jeunettes,
Et par un gracieux souris
L'encourage...
L'ourson grandit, et dans sa rage,
Manquant un jour d'aliment,
Étouffe voix de la nature,
Et fait large blessure,
D'un coup de dent,
Au sein de la triste mère,
Qui gémit, se désespère,
Et maudit son aveuglement.

Livre III, fable 10




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