Le Léopard et les Pourceaux Fables du bonhomme de la Vallée du Perche (XIXème)

J'ai vu pour rois, dans l'instructive histoire
Des animaux, ours, loups, requins, tyrans gloutons...
Je n'ai pu découvrir aucun réquisitoire
Daté du consulat des candides moutons.
Les bêtes ont vécu sous la race lionne...
« C'est déjà vieux. — Oui, mais
Jamais
Personne
Alors ne le trouvait mauvais.
— Peut-être les sujets avaient-ils bouche close ?
— Je ne le pense pas, et j'explique la chose
Tout simplement :
Le lion est toujours généreux, magnanime,
Reconnaissant, bien né, par-là roi légitime
Des forêts : or, comment
Viendrait-on le priver des droits de sa naissance,
S'il protège son peuple, et si, par sa clémence,
Il rend à son pays quelque jeune insensé
Coupable par le fait, mais par l'erreur bercé?
Se révolter alors c'est crime abominable ;
C'est exciter du ciel la colère implacable.....
Cela s'est vu pourtant
Trop souvent.
Allons ! sans m'en douter, j'abandonne ma route ;
Ami lecteur, j'y reviens,
Ecoute
Et retiens.
Un lion, affaibli par le poids des années,
Demandait à la mort quelques courtes journées
De répit :
Il voulait de son peuple augmenter la richesse,
Puis, sur un cœur ami, terminer sa vieillesse...
Ce doux penser lui sourit.
Las ! c'est en vain : on brise sa couronne ;
Un léopard la prend et se la donne
En se promettant d'heureux jours.
Il n'était que vassal encore tout-à-1'hcure
Mais voyez quel concours
Réunit ce sultan auprès de sa demeure !
Les amis de la nouveauté
S'inclinent en criant : Vive sa majesté!
Ce mot a chatouillé le roi de fraîche date ;
Il fait le beau, donne la pâte
A tout venant....
La canaille redit : C'est charmant ! c'est charmant !
Mais le monarque populaire,
A force de chercher à plaire,
S'en trouva fort mal payé.
Or, des pourceaux la gent bien peu civile
(Ce vilain peuple était par le gland égayé)
Se dirige vers la ville.
Malgré leur habit fangeux,
Pourceaux sont bien reçus à la cour léopardc.
L'orateur grogne, et donne l'accolade
Au sire qui reçoit son baiser et ses voeux,
Maître pourceau (la chose peut se dire)
Avait la gale ; il en fait don au sire,
Qui vit ses jours en danger
Il se hâte de changer
Et d'humeur et de caprice.
Qu'en advint-il ? les gens de la police
Eloignant du palais tout autre visiteur,
Firent crier bien haut le peuple barboteur :
Et sans parler des moutons et des biches
(Cœurs les plus aimants du troupeau),
Grands et petits, pauvres et riches
Rappelaient le vieux roi déjà mis au tombeau.

Panthères, léopards, écoutez la morale:
Je n'ai pas dit : Soyez usurpateurs !
Mais si vous êtes rois, qu'en vous rien ne ravale
La dignité de la pourpre royale.-...
Pères de vos sujets, vous êtes leurs seigneurs.

Livre III, fable 9




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