Le Martinet, l'Araignée et le Moucheron Fables du bonhomme de la Vallée du Perche (XIXème)

Dans l'angle d'un vieil édifice,
Un moucheron, en volant,
Voit un tissu vacillant,
Léger, onduleux et lisse.
Notre insecte étourdi,
( Et telle est la jeunesse )
Tremble d'abord ; puis enhardi,
Veut connaître l'hôtesse
De ce joli hamac :
Il s'abat sur le tapis... crac,
Paraît une énorme araignée.
C'était dans la matinée,
La dame se trouvant à jeun,
S'apprête à croquer l'importun,
L'imprudent, pour mieux dire.
Le pauvre moucheron se débat et soupire,
Appelle du secours ;
Il conjure les dieux de défendre ses jours.
Il pense que ses cris et ses pleurs vont suffire
Pour le sauver... Mais les dieux lestent sourds.
Pourtant je ne sais quoi bientôt se fait entendre:
Avec bonheur moucheron va l'apprendre.
Un martinet fend l'air,
Et, vif comme un éclair,
Fond sur la toile, et l'enfonce et la brise :
Cet exploit favorise
Le prisonnier qui fuit
Pour gagner un obscur réduit.
Pendant qu'il souffle et se dégage
Des fils du perfide tissu,
11 entend, sans être aperçu,
Dame fileuse qui fait rage.
« Pourquoi, dit-elle au martinet,
Venir avec impudence
M'enlever mon butin et briser mon filet?
Que ne puis-je sur vous exercer ma vengeance.
Vil ravisseur !
Vous privez ma famille
Du fruit de mon labeur...
— Taisez-vous, belle dame, ou bien je vous étrille,
Répond notre gaillard; il vous convient, ma foi,
De me nommer râpa ce,
Quand vous et votre race
Dévorez moucherons tout aussi bien que moi!
— Vous en avez menti, répliqua la commère;
La différence est grande , et je suis débonnaire.
L'insecte, dans mes rets, peut trouver du répit ;
Je lui donne souvent tout le temps nécessaire
Ou pour se recueillir, ou faire le récit
De ses malheurs. S'il me laisse un écrit,
Ou quelque point testamentaire,
Je le remets à ses parents.
— Ah! qu'ils sont reconnaissants !
Mais votre verbiage
Est temps perdu;
Et j'enrage
Sans vous en châtier, de l'avoir entendu.
Vous, meilleure que moi! ma chétive pécore,
Pour vous guérir, prenez de l'ellébore...
— Je suis de votre avis, dit sur un ton fausset,
Le moucheron ; monsieur le martinet :
Oui, madame radote,
Et je la note
Sur notre calepin.
Vous ressembler! oh! non : vous êtes l'assassin
Qui, tout-à-coup, tombe sur sa victime,
Et vous l'immole sans merci.
Madame, pour la frimr,
Vous dit, d'un ton adouci:
Dépêchez-vous, je vous attends, ma mie,
Je vous étrangle avecque bonhomie,
C'est bien là le geôlier et l'infâme bourreau,
Flattant le patient assis sous le couteau.

Cette distinction me paraît fort logique :
A bien des gens je crois qu'elle s'applique.

Livre III, fable 8




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