Le Tigre et le Léopard Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Rivalisant de courage et d'audace,
Un tigre, un léopard, issus de noble race,
S'étaient juré tous deux, à la vie, à la mort,
Une amitié que rien n'efface.
Commun en tout était leur sort ;
L'un pour l'autre bravait la fortune implacable.
De tels amis n'ont rien à se cacher.
Au léopard aussi le tigre redoutable,
Formant contre le prince une ligne coupable.
Fit une confidence... Il ne put l'arracher
Des replis de son cœur qu'en frémissant de rage.
Ils ne savaient tous deux prévoir jamais un cas
Qui dût rompre la foi de leur serment terrible ;
L'intérêt qui, parfois, peut tout, n'y parvint pas.
À la sainte amitié tout leur semblait possible.
Mais ce que l'intérêt ne put, l'amour le lit ;
Une jeune lionne, ardente et gracieuse,
Captivant leur tendresse, enfin les désunit.
Rivaux, leur haine fut extrême, impétueuse,
Autant que noble était jadis leur amitié.
Le tigre, préféré par l'altière princesse,
Du triste léopard triompha sans pitié.
A son tour, furieux, l'amant sacrifié
De sa colère vengeresse
Fit retentir les bois, et, d'une voix traîtresse,
Proclama le secret de son heureux rival.
Le tigre, pris, bientôt eut subi la sentence
Que lança contre lui le jugement royal.

En expirant, il dit: « J'eus trop de confiance ! »
Concluez-en qu'il est des secrets délicats,
Dont la prudence, amis, ne permet pas,
Fùt-ce à votre ombre encor, de faire confidence.

Livre III, fable 5




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