Le Bonheur était descendu,
Un jour de printemps, sur la terre ;
Il l'avait fait avec mystère,
Ne voulant pas être attendu :
Le Bonheur est un peu timide.
Dès qu'il parut, la foule avide
Autour de lui vint se placer ;
Chacun eût voulu le forcer
À venir dans son domicile.
Le Bonheur est si beau ! Ce n'est pas dissicile
De comprendre cet engouement,
Un peu trop fougueux seulement.
De cet hôte riant la présence divine,
Dont on ne se lasse jamais,
Comme un météore illumine
L'humble chaumière et le palais.
Grâce à lui, plus de différence :
Chaumière et palais, c'est tout un...
Mais le Bonheur fit résistance
À cet engouement importun.
De guerre lasse, il prit la fuite ;
Chacun se mit à sa poursuite.
Les méchants lui criaient : « Tu nous fuis vainement ;
Tôt ou tard, il faudra te rendre.
Nous mettrons de l'acharnement
À te poursuivre, et, pour te prendre,
Ruse, effort violent, rien ne nous coûtera.
Une fois pris, il te faudra
Te résigner à l'esclavage.
Tu l'auras mérité. Viens donc ; c'est le plus sage. »
Révolté d'un pareil langage,
Le Bonheur redoublait ses pas,
Et les méchants ne pouvaient pas
Egaler sa course rapide.
Mais les bons, animés d'une ardeur moins avide,
Lui disaient : « Viens vivre avec nous ;
Tu n'y vivras pas en esclave ;
Nous t'y ferons un sort bien doux,
Et libre de la moindre entrave.
Discours, actions, jamais rien
Ne saura, par trop de rudesse,
Offenser ta délicatesse.
Tu nous verras faire le bien ;
Tu voudras le faire toi-même. »>
Enhardi par ce ton d'une douceur extrême,
Le Bonheur consentait, sans se faire prier,
A venir s'asseoir au foyer
Si paisible des gens qu'il aime.
Mais sous ce toit hospitalier,
Eût-on voulu se faire craindre,
Il aurait fui plein de terreur...
Les bons et les méchants poursuivent le bonheur ;
Mais les bons seuls peuvent l'atteindre.