Les Lampions et la Tempête Charles Desains (1789 - 1862)

On célébrait..... je ne sais quoi ;
C'était peut-être la naissance
D'une république ou d'un roi,
Cela m'importe peu. Tout Paris en émoi,
Comme le reste de la France,
Trouvait dans cette circonstance
Du loisir au nom de la loi
Et du plaisir par ordonnance.
Partout abondaient les flâneurs,
Femmes, enfants, soldats, curieuse cohue,
Fourmillaient sur la place, accouraient dans la rue,
Rendez-vous des badauds de toutes les couleurs.
Les charlatans et les jongleurs
(Toujours notre pays en eut en abondance)
Annonçaient leur savoir, montraient leur éloquence
A des milliers de spectateurs,
Tandis que le filou, qui doucement s'approche,
Imite au fond de mainte poche
Le talent des escamoteurs.
L'on va, l'on vient, le canon gronde,
Le théâtre en plein vent fait voir à tout le monde
L'Arabe terrassé dans de sanglants combats,
Et le mât de cocagne aux périlleux ébats
Se fait escalader, comme pour nous apprendre
Que l'homme ne vient ici-bas
Que pour monter.... et puis descendre.
Ainsi, dans les émotions
Se passe la grande journée,
A nos yeux bientôt couronnée
Par des illuminations ;
Car, dans toute fête ordonnée,

Pour rendre le public content,
L'odorant Lampion joue un rôle important.
Il s'allume partout, quand soudain la tempête
De ses vents pluvieux souffle sur cette fête ;
Tout s'éteint ; on rallume, et son fougueux essor,
Quand les feux ont brillé, vient les éteindre encor.
On attend, c'est en vain, et voyez l'infortune !
Ce jour-là, justement, il n'était pas de lune.
Le tumulte est partout, rien ne peut l'empêcher ;
Plus on veut aller vite et moins l'on peut marcher.
Enfin, sous les torrents de l'averse importune,
Dans une tristesse commune,
Presque à tâtons le peuple est allé se coucher.

Avides conquérants des dignités publiques,
Combien de grands hommes d'un jour
Sous les tempêtes politiques
Viennent s'éteindre sans retour.
Ils ont promis beaucoup, la fortune inconstante
Les fait passer comme l'éclair,
Et le peuple déçu, malgré sa longue attente,
N'en est pas plus heureux et n'y voit pas plus clair.

Livre III, fable 3




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