En abandonnant ses montagnes,
Un jeune et pauvre Savoyard
Demandait aux passants des villes, des campagnes,
Un petit liard.
De ses tristes parents il quittait la chaumière,
Et, pour adoucir leur misère,
Il s'en vint montrer à Paris
Une Souris.
Souris blanche, il est vrai, dont la gentille espèce
Piquait la curiosité
Et provoquait la charité.
Il ne vivait pas mal, dans la grande Lutèce,
Grâce à cette Souris, son gentil gagne-pain ;
Lorsqu'un Matou, qui, dans ses prises,
En avait toujours vu de grises,
Voulut goûter la blanche, et la croqua soudain.

Le Savoyard pleura ; mais comme en sa chambrette
Il mettait de côté la moitié de son gain,
D'un Singe assez instruit il put faire l'emplette,
Et faire aussi plus de recette,
En égayant les curieux,
Qui pour cela le payaient mieux.
Un mois à peine ainsi se passe ;
De sauter pour autrui le sapajou se lasse ;
Il gémit de vieillir dans la captivité,
Et d'être une propriété,
Comme un paysan de Russie.
Le dur fouet de l'autocratie
Ne lui semblant pas de saison y
Il singe Spartacus, dont il ressent la haine,
Et brisant comme lui sa chaîne,
Il décampe de la maison.
Au lieu de se trouver en peine y
De cet autre revers, pour le coup, se moqua
Notre montagnard économe.;
À la caisse d'épargne il reprit une somme,
Et fit venir un Ours qui dansait la polka
Comme la danse plus d'un homme.
L'animal eut la vogue, et dans tous nos salons,
Par un goût qui doit peu surprendre,
De lui l'on aurait pris volontiers des leçons,
Si jusqu'au vil cachet un Ours pouvait descendre.
Dans la salle qu'il habitait
On courut pour le voir ; ce n'était plus l'aumône
Qu'à son heureux maître on jetait,
Mais un bon écu par personne,
Qu'en entrant la foule apportait.
Tout allait bien ; voilà que blasé par sa vie,
Longue et monotone série
Et de bonbons et de succès,
Cet Ours mourut du spleen, comme font les Anglais.
Nouveau malheur, autre victoire ;
Ce Savoyard, que mon histoire
Vous montre d'abord indigent,
Bien que riche aujourd'hui, voit doubler son argent
Par l'Éléphant instruit, colosse intelligent,
Dont il est le propriétaire.

En vain les coups d'un sort contraire
Fondent sur l'homme prévoyant.
L'épargne, le travail, surtout la patience,
Font qu'un humble trésor va toujours grossissant.
Par être Souris il commence,
Et finit par être Éléphant.

Livre III, fable 4




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