Un Ciron, né d'hier pour trépasser demain,
D'un miroir grossissant regardait la surface,
Et, Narcisse nouveau, se mirait dans la glace
Qui triplait son volume et le rendait si vain
Qu'il se croyait géant, lui qui n'était qu'un nain.
Combien l'on est injuste en m'infligeant la place
Du plus petit des animaux !
C'est une erreur, la chose est sûre.
Si des Rhinocéros, des Bisons, des Chameaux,
Je n'ai pas tout à fait la puissante structure,
Je suis gros, oui, très gros, et malgré le mépris
Dont un sot préjugé me frappe sans mesure,
J'ai ma beauté, ma force.,.et mon poids et mon prix !
Il s'avance, l'âme ravie,
Sur les bords du miroir dont l'effet le séduit, -
Lorsqu'il entend un léger bruit.
Il faut partir, dit-il, on en veut à ma vie ;
Sans doute à l'homme j'ai déplu,
Je n'ai pourtant jamais voulu
M'.arroger de ses droits la plus mince partie.
De tout être marquant puisqu'il est si jaloux,
Fuyons ! L'insecte voit des trous
Où jamais le jour ne rayonne,
Où de nombreux Cirons pourraient à l'aise entrer ;
Il se garde d'y pénétrer,
Disant que ces abris, qu'un sort trompeur lui donne,
Ne pourraient contenir le quart de sa personne,
Et tandis qu'il dédaigne un salut bien aisé,
Par un rien, par un souffle, il expire écrasé.

Voilà bien les cirons ! et voilà bien les hommes !
Rarement la raison nous sert,
Nous nous voyons toujours plus gros que nous ne sommes,
Et cette illusion nous perd.

Livre III, fable 6




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