Le Ménétrier et le Loup Charles Desains (1789 - 1862)

Gomme on me l'a conté, je le conte à mon tour.
Certain Ménétrier s'acheminait un jour,
Pour prêter son talent dans le prochain village ;
D'accord avec l'Hymen, peut-être avec l'Amour,
Il allait diriger le bal d'un mariage.
A danser en ce jour bien fou qui manquera,
Car on n'est jamais sûr, quand on entre en ménage,
Que de danser plus tard le moment reviendra.
Retournons à notre homme ; ayant franchi la plaine,
Il lui reste à passer encore une garenne.
Vers la fin du trajet, voilà que tout à coup
Il se retourne, et voit un effroyable Loup,
À la gueule béante, à l'œil rouge et féroce.
Le virtuose alors n'était pas à la noce,
Et même il doutait fort de s'y jamais trouver.
Pour se défendre et se sauver,
Que faut-il en effet qu'il fasse ?
Comptant sur un festin, il a mis seulement
Un morceau de pain sec au fond de sa besace,
Avec son violon, pacifique instrument,
D'un faible secours à la chasse.
Pourtant, comme un petit moyen
Fut toujours préférable à rien,.
Il jette au Loup le pain ; cet animal le flaire :,
Le retourne, le considère,
Et dit : Ce morceau-là n'est pas de mon gibier,
Un morceau du Ménétrier
Sera beaucoup mieux mon affaire.
Il perd du temps ainsi ; notre artiste, au contraire,
Profitant du retard, a déjà reculé,
Et s'est à propos rappelé
D'avoir Lu, n'importe en quel livre,
'Qu'un certain Orphée autrefois,
En jouant du luth dans les bois,
\ Par tous les Loups-Garoux se fit aimer et suivre.
Voyons si mon archet, qui m'a toujours fait vivre,
Saura bien, se dit-il, m'empêcher de mourir.
Il prélude gaîment, le Loup surpris s'arrête
A ce bruit tout nouveau qu'il ne peut définir ;
Car il savait par cœur tous les airs de musette,
Mais il était novice en fait de violon.
L'homme, qui voit l'effet produit par le flonflon,
Toujours en reculant racle au Loup qui balance,
Une valse, un galop, même une contre-danse.
Sous ses pas attentifs le chemin s'est enfui ;
Le village paraît, l'espérance avec lui.
Quand le monstre dupé pour en finir s'avance,
Arrivent de gros Chiens, défenseurs du hameau,
Qui le font trépasser sous leur gueule énergique.
On tira cinq francs de sa peau,
Ce fut pour payer la musique.

Si vous avez affaire à de mauvaises gens,
Observez-les, gagnez du temps ;
Vous pourrez profiter de leur imprévoyance.
Le ciel ne permet pas toujours que les méchants
Soient conseillés par la prudence.

Livre III, fable 11




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