Travaillant sans relâche au fond d'une carrière,
Pour arracher au sol quelques fragments de pierre,
Un ouvrier laborieux,
Et par malheur ambitieux,
En stériles, désirs usait sa vie entière.
Il avait beau creuser de son bras diligent
L'antre humide où jamais ne brillait la lumière,
En vain il se couvrait de sueur, de poussière,
A ce métier de taupe il gagnait peu d'argent.
Il s'en plaignait, quand d'aventure,
Sous les coups redoublés que frappe sa vigueur,
Il voit paraître une capture
Dont il ignore la valeur ;
Un animal fossile, un vétéran du monde,
Caché sous la couche profonde ;
Rare et savant débris qui du céleste auteur
Raconte aussi la puissance infinie,
Et dont Cuvier, par son génie,
Devint le second créateur.
Au bruit de la trouvaille, un avide amateur
S'empressa de faire l'emplette
Du squelette,
Et le paya cent beaux écus.
Notre ouvrier ne savait plus ;
S'il rêvait ; mais loin d'être en peine,
Comme ce prudent savetier
De notre excellent La Fontaine.,
Il était si joyeux de cette bonne aubaine,
Qu'il but et qu'il chanta huit jours à plein gosier.
On n'est plus philosophe à présent : lorsqu'un homme
Touche sans, le prévoir une notable somme,
Il se garderait bien de la répudier,
Et si l'argent trouble son somme,
C'est qu'il rêve au moyen de le multiplier.
Cela perdit notre carrier.
Trop avide, il eut la sottise
De prêter son avoir au chef d'une entreprise
Qui devait, disait-on, tripler le capital ;
Il perdit l'intérêt avec le principal.
De son heureux hasard la tête encore éprise,
Il travailla moins et plus mal.
Trouvait-il un beau bloc qu'il aurait pu bien vendre,
Il le brisait, afin d'apprendre
S'il ne recelait pas encor
Un semblable trésor.
Ces soins-là furent inutiles,
Il ne vit pas d'autres fossiles,
Et ne gagna presque plus rien.
Ceci, je crois, prouve assez bien
Que la Fortune est femme un peu coquette ;
Elle sait nous charmer d'un regard décevant.
Sommes-nous bien épris ? Vite elle nous rejette
Plus malheureux qu'auparavant.
Que de maux a causés son humeur infidèle !
Le travail, au contraire, est un constant appui.
Enfants. comptez toujours sur lui,
Mais ne comptez jamais sur elle.

Livre III, fable 12




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