Le Chien retrouvé Charles Desains (1789 - 1862)

Dès longtemps une femme avait perdu son Chien ;
Sa douleur était vive et toute naturelle,
Elle était, je crois, veuve ou vieille demoiselle ;
Dans l'un ou l'autre état l'on chérit Ce gardien,
Animal soumis et fidèle,
Qui de la solitude abrège les ennuis, -
Qui nous veille et nous aime et les jours et les nuits,
Dont l'oeil intelligent nous parle et nous devine.
Lorsque cette femme, chagrine
De ne plus voir le Chien de ses affections,
Eut pris de tous côtés des informations,
Et vainement promis la récompense honnête
A qui rendrait la pauvre bête,
Il eût fallu pouvair oublier ce malheur.
Oublier l'ami de son cœur,
Ce fut trop pour la bonne dame.
Hier, quand d'une voix qui tristement réclame,
Elle interroge encor les quartiers de Paris,
Qui se montre à ses yeux surpris ?
Son Chien, son cher Azor, en habit de marquis !
Sous cet accoutrement il n'a rien qui repousse,
Au contraire, il ressemblé au général Tom Pouce.
Bien qu'Azor ait un titré et sente fort là cour
Sous madame dé Pompadour,
Les grandeurs n'ont pas pu gâter son caractère ;
Il caressé l'amie à son cœur toujours chère,
Il n'a pas oublié lé bien
Que lui fit sa maîtresse en dés jours pleins de charmes ;
Même on dit qu'à ses yeux de Chien
L'on a vu briller quelques larmes,
Pour rester toujours sage, il fit plus d'un effort,
Mais là, comme partout, l'Amour fut le plus fort.
De Chiens danseurs une troupe légère
En la ville étalait ses tours voluptueux,
Il était jeune, impétueux,
Il s'enflamma soudain pour la jeune première ;
Vénus le fit sauteur, ce sont là de ses jeux.
Azor devint bientôt le Vestris de la troupe.
Pour le public qui l'entourait en groupe,
Ce qui fit son plus beau succès,
C'est qu'il porta l'habit français
Mieux que certains acteurs bien connus à la scène.
A l'excuser ici je ne veux pas chercher,
En suivant la danseuse il fit une fredaine ;
Cependant, vers l'oubli si vous voulez pencher,
Demandez aux seigneurs de notre espèce humaine
S'ils auraient tous le droit de la lui reprocher.
D'ailleurs, à l'instant même il sait se détacher
Du vil métier qui le fatigue ;
En rompant des liens réprouvés par l'honneur,
Et son engagement avec le directeur,
Sous le toit paternel, comme l'enfant prodigue,
Il reçoit le pardon et donne le bonheur.

Ne refusons pas l'indulgence
A celui qui, dans une erreur,
N'a pas cessé d'avoir bon cœur
Et d'écouter la voix de la reconnaissance.

Livre III, fable 17




Commentaires