Les Dieux en exil Charles Desains (1789 - 1862)

On sait que les faux Dieux conspiraient quelquefois
Contre le maître du tonnerre,
Et prouvaient qu'à l'Olympe aussi bien que sur terre,
On fut toujours friand de la place des rois.
Par bonheur pour Jupin, il avait bonne tête,
Et sa police, fort bien faite,
Éventait aussitôt
Le plus mince complot.
Les Dieux donc, étant pris en une telle affaire,
Se virent condamnés, par un arrêt sévère,
A venir ici-bas, privés de leurs autels,
Occuper les emplois des plus simples mortels,
Sans avoir pu sauver de leur commun naufrage
Ce peu d'or, utile bagage,
Loin duquel ils allaient vivre si malheureux I
Que dis-je ? et pourquoi donc m'apitoyer sur eux ?
Il leur restait beaucoup Ils avaient du courage.
Apollon, maître es arts, s'établit médecin,
Ordonnant à propos ou rhubarbe ou ricin ;
Il aimait moins l'argent qu'il n'aimait le malade,
De succès mensongers ne faisait point parade ;
Même il disait du bien des docteurs, ses rivaux ;
Et si l'homme souffrant l'appelait à son aide,
Il ne prétendait pas le guérir de tous maux
Avec un seul remède.
Bacchus se fit marchand de vin ;
Ne voulant pas suivre l'usage
De frelater sa cave avec de faux breuvage,
Il eut bientôt fait son chemin.
A ses marteaux Vulcain trouvait toujours des charmes,
Il prosessa l'art de forger.
Le Temps, quoique un peu vieux, fut habile horloger.
Le dieu Mars enseigna le beau métier des armes,
Non pour dresser des spadassins,
Faux braves insolents, espèce d'assassins,
Qui, nommant point d'honneur un véritable crime,
Veulent avec principe égorger leur victime.
Mais puisque des humains tel est le triste sort,
Qu'ils doivent quelquefois s'entre-donner la mort,
Il montra le moyen de vendre cher la vie,
Lorsqu'il fallait défendre et sauver la patrie.
Enfin nos Dieux, guéris de toute ambition,
Vivaient entre eux sur terre en parfaite union.
Laborieux auteurs d'une honnête fortuné,
Jamais aux pieds d'un grand, de leur voix importune,
Ils n'allaient mendier d'humiliants secours ;
Vertueux citoyens, ils voyaient de leurs jours
S'user tranquillement la trame fortunée ;
Leur occupation, sagement ordonnée,
Chassait loin d'eux l'ennui, fardeau des grands seigneurs
Et lorsque Jupiter, pour finir ses rigueurs,
Manda les exilés au séjour de la foudre,
Aucun d'eux à partir ne pouvait se résoudre.

Je le répète ici, ce n'est pas la grandeur,
Ce n'est point le fracas, les honneurs, l'opulence,
C'est la tranquillité, la douce indépendance,
Qui charment notre vie et donnent le bonheur.

Livre III, fable 18




Commentaires