Le Riche et le Moraliste Charles Desains (1789 - 1862)

Un riche parvenu, qui fréquentait les grands
Et reniait les tisserands,
Dont il s'affligeait de descendre,
De ses terres montrait les aspects différents
A certain philosophe un peu de ses parents,
Qui pour affaire en ces lieux dut se rendre.
Convenez que mon parc est noble et gracieux,
Dit le riche avec importance,
Beaucoup de nos seigneurs s'en disent envieux,
S'il me coûte trop cher, je plains peu la dépense,
Qui, par un tel honneur, peut se justifier.
J'admire, et ne puis le nier)
De vos vastes jardins l'opulente ordonnance ;
La nature et les arts y luttent de splendeurs,
Nous cheminons parmi des fleurs,
Dont la séduisante abondance
Se marie avec élégance
Au luxe de l'arbre étranger ;
Mais je cherche le potager/
Le potager ! si donc ! grande serait ma honte,
Lorsque je recevrais le marquis ou le comte,
Dé laisser sous leurs yeux carottes et navels,
Ou les sabots ou la brouette
De mes jardiniers sans toilette.
Par un rideau d'arbres épais,
Dont l'ombrage à mes voeux se prête,
J'ai caché tout cela. Bien, dit le visiteur,
Mais ne craignez-vous pas de provoquer la bile
De tout Moraliste frondeur ?
Ce parc lui semblerait peut-être un grand seigneur,
Dont l'aspect brillant mais stérile
Selon vous doit vous honorer,
Et le potager l'homme utile
Que vous rougiriez de montrer.

Livre III, fable 14




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