« Beau plaisir, ma foi, d’être riche,
Si l'on veut, comme un indigent,
De boire et de manger se montrer toujours chiche,
Sans avoir d’autre soin que d’entasser l'argent!
A quoi bon tant d’écus ? La mort vient qui nous presse ;
Nul de nous, au fatal moment,
Ne saurait emporter sa caisse,
Et l'on n‘a rien connu que misère et tourment !
Ah! si j’avais bourse bien ronde,
Comme ils danseraient, les ducats !
Quels bals! quels festins! quels galas!
Il en serait bruit par le monde !
Mais à faire aux autres du bien,
Je mettrais mon plus cher délice :
Riche qui ne dépense rien
Fait de sa vie un long supplice ! »
Couché sur un bane froid et nu,
Ainsi philosophait dans sa pauvre chaumine
Un gueux tout en haillons ct assez triste mine,
Quand des fentes du mur sortit... un inconnu,
Un sorcier, nous dit l'un, ou, nous dit l'autre, un diable.
(Le second, je crois, n’a pas tort ;
Mais, sur ce point, obscur d’abord,
Les faits parleront dans ma fable)
L'inconnu prés da queux s'arrête et parle ainsi :
« Tu voudrais être riche, et j’ai pu même entendre
Dans quelle intention, car j’étais prés d'ici ;
C'est fête pour mon cœur quand j'ai service a rendre ;
Tiens, prends la bourse que voici :
J’'y mets un ducat seul, mais, pour grossir la masse,
Quand tu T’en tireras, un autre y prendra place ;
Tu ne saurais manquer de t’enrichir ainsi ;
Prends des ducats, mon cher; pour (ou libre carrière !
A ton gré, sans compter, tu peux les entasser,
Mais retiens bien ceci : tu n'en peux dépenser
Qu’après avoir jeté la bourse à la rivière, »
Il dit et disparait. Près de perdre l'esprit,
Notre homme est stupéfait et sa joie est immense;
Mais, plus calme enfin, il commence
A tirer des ducats comme il était prescrit.
Est-ce un songe moqueur qui vient troubler sa vue?
O prodige! un ducat à la bourse ravi
Aussitôt d'un autre est suivi,
Qui sous sa main tremble et remue !
« Je vais, dit-il, tirer des ducats à foison,
Et, riche, dès demain, je vis en sybarite ! »
Le lendemain, le gueux se donne autre raison :
« Je suis riche, il est vrai, mais la dose est petite ;
D’accroitre son avoir tout homme est curieux :
Être riche, c'est bien ; l'être deux fois, c'est mieux.
Si j'ai le sac en main, c'est pour qu'il me profite.
Point de paresse! allons! un jour, un jour encor,
Je veux jusques an soir fouiller dans mor trésor.
Voici pour la maison, voici pour l'équipage...
Et voila pour le petit bien !
Eh! parbleu! si je veux acheter un village,
L’occasion est belle et je n’en perdrai rien;
Pas si sot! La sacoche est merveilleuse aubaine,
Gardons-la! Je puis bien jeûner encore un jour;
Et, quand ma caisse sera pleine,
J'emplirai ma panse à son tour ! »
Un jour, une semaine, un mois, un an se passe;
Il ne peut plus compter les ducats qu'il entasse;
Il mange et boit fort mal. Dis que l'aube a paru,
Sans trêve, il court au sac plonger sa main avide,
Et, quoique tous les soirs son trésor soit accru,
Tous les soirs dans sa caisse il trouve encor du vide.
Mon gueux voudrait parfois, écoutant la raison,
Jeter la bourse à l'eau... Soudain, son cœur se serre ;
Il fait un pas vers la rivière,
Il en fait deux vers la maison.
« Foin de moi! se dit-il en l'apportant la bourse;
J'ai perdu la cervelle ! Est-il bien de saison
D'aller jeter un sac don l'or coule de source ? »
Du malheureux déjà les cheveux sont tout gris ;
Jaune comme son or, sa peau hâve et ternie
Ne couvre qu’a regret ses membres amaigris ;
Il perd santé, repos, et touche à l'agonie !
Quand viendront les festins? O projets superflus !
Déjà depuis longtemps le gueux n'y pensait plus ;
Mais du mourant la main tremblante
Tons les matins venait encor
De la bourse, à son gré trop lente,
Tirer sans fin, tirer de l'or ;
Et de ses millions il comptait le neuvième,
Quand, dévorant des yeux l’or qu'il a tant rêvé,
Il vient mourir sur le banc même
Où le diable l'avait trouvé !