Le Chien pauvre et le Chien riche Fortuné Nancey (? - 1860)

Entre le chien du pauvre et celui qu'en ce monde
On dit chien de bonne maison,
Quelle différence profonde,
Qu'il est peu de comparaison 1
L'un est crotté, malpropre et de laide figure,
Porte l'oreille basse, et timide, souffrant,
Par la ville toujours errant,
Reçoit sans la venger et fuit devant l'injure.
L'autre a le poil lisse et soyeux,
L'œil brillant, et le port superbe,
L'air insolent, le ton acerbe,
Enfin le cœur audacieux.
Et c'est la même espèce, et parfois même un frère
Qui de l'autre à ce point diffère !
Ajoutons que le pauvre est toujours délaissé,
Bien souvent sans amis, de toutes parts chassé.,
Tandis que l'opulent a, dans sa vie heureuse,
Autour de lui cour brillante et joyeuse.

Deux chiens si différents se rencontrent un jour
Le pauvre à ce moment, ayant fait plus d'un tour,
Avait enfin fait la trouvaille
De certain os abandonné,
Dont il faisait un succulent diné,
C'était pour lui jour de ripaille.
Le croirait-on, le riche en est jaloux !
Ameute contre lui, l'essaim de jeunes fous
Qui l'accompagnent d'ordinaire.
Voyez, ajoute-t-il, ce gourmand, ce pelé,
Il fait profit de quelque bien volé.
Le pauvre chien en vain espère,
Que contre un tel soupçon quelqu'un le défendra ;
Que s'il est pauvre enfin, honnête on le croira.
Vain espoir, quand un riche accuse
On est à demi condamné;
L'or a souvent servi d'excuse,
A l'indigent jamais qui donc a pardonné ?
Ainsi pour voleur il passe ;
Le riche a donné le signal,
Et sans autre examen, sur le pauvre animal
Tous tombent à la fois et sur lui font main basse.
Dire que l'homme est bon, est-ce le cas, le lieu ?
Et que la voix du peuple est bien celle de Dieu !
Car à quoi servirait de feindre,
C'est le peuple en effet qu'ici j'ai voulu peindre.
Le peuple ! il porte en lui ce fatal préjugé,
Que tout riche est honnête et qu'il ne faillit guère ;
Mais qu'il n'est pas, douleur amère
D'être à le dire obligé,
D'honnêteté dans la misère.

Livre III, fable 8




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