Un descendant de Raminagrobis,
Vieux guerroyeur, le fléau des souris,
Maître subtil en tours d'escroquerie,
Au coin du feu des deux yeux convoitait
Chapon dodu que la broche tournait.
Le doux fumet de la bête rôtie
Lui paraissait une odeur d'ambroisie.
Pour un malheureux chat,
Souvent réduit pour toute chère
A dîner d'un vieux rat,
C'était vraiment un morceau délicat ;
Mais l'attraper n'était petite affaire.
Notre glouton jamais ne restait court ;
Dans son sac à malice il cherche quelque tour,
Feint de dormir ; et pendant qu'on s'apprête
A dresser sur un plat le héros du festin,
Dans son hermine il a caché sa tête ;
Mais d'un œil entr'ouvert il guette
Un favorable instant, l'aperçoit, et soudain
Fond sur sa proie. On court, on s'empresse, on l'arrête
Au milieu du jardin.
Là, ne respirant que vengeance,
Les cruels marmitons l'étrillent d'importance.
Honteux, Dieu sait, d'un pareil dénouement,
Le chat moulu se traînait lentement,
Quand tout à coup, dans le haut d'une treille,
Il découvre un gros rat,
Parfumant son museau dans la grappe vermeille
D'une vigne de muscat.
-Eh ! malheureux ! dit- il, n'as- tu de conscience ?
Peux- tu ravir sans honte à mon maître chéri
Ce fruit, qui vient combler sa plus douce espérance ?
Encor si tu rongeais un fromage pourri,
Je pourrais garder le silence ;
Mais ces raisins exquis sont - ils faits pour les rats ?
L'autre, témoin de la funeste affaire,
L'avait vu châtier de la belle manière ;
Il lui répondit donc, pour clore les débats :
Çà, dites-moi, compère,
Et les chapons sont- ils faits pour les chats ?